Les effets visibles de la pénibilité
Nous sommes actuellement capables de mesurer les effets de la pénibilité sur la santé. Suivant les situations, la pénibilité peut être la cause :
- d’une aggravation de la morbi-mortalité causée par les maladies cardiovasculaires ou les cancers,
- d’une baisse de l’espérance de vie sans incapacité,
- d’un vieillissement prématuré,
- de l’altération de la qualité de vie au grand âge.
On constate aussi l’apparition et la multiplication de pathologies qui reflètent la grande sollicitation du corps, une sollicitation imposée par l’intensification du travail.
Les
Troubles musculo-squelettiques
(TMS)
Les TMS concernent les
tissus mous entourant les articulations des membres supérieurs et
inférieurs ainsi que de la colonne vertébrale. Ces affections se
révèlent par des douleurs ainsi qu’une gêne dans les mouvements
et peuvent aller jusqu’à causer des handicaps sérieux. Ils sont
devenus la première des maladies
professionnelles reconnues en France avec un nombre de
nouveaux cas qui s’accroît de 13 % par an depuis 1995.
En 2008, presque 40 000 TMS ont été indemnisés. En 2011, ils représentent plus de 85 % des maladies professionnelles. Selon CNAMTS et CCMSA, les TMS ont entrainé 9,7 millions de journées de travail perdues pour les actifs du régime général. Malgré ces chiffres, ce phénomène n’est pas toujours pris au sérieux.
Les TMS touchent tous les secteurs. On peut tout de même dire que l’industrie agroalimentaire, le BTP, la grande distribution et les services aux personnes sont les plus touchés. En effet, les causes des TMS se retrouvent beaucoup dans les professions de ces secteurs d’activité : mauvaise posture, efforts musculaires importants, utilisation de matériels inappropriés, gestes répétitifs à forte cadence et pour une longue durée, environnement de travail froid ou avec vibrations importantes, mauvais état psychosocial (pression des objectifs, stress...), etc.
Devant ce phénomène, Eric Woerth, ancien Ministre
du Travail, de la Solidarité et de la Fonction publique, avait
lancé en avril 2010 une campagne de communication visant à
sensibiliser davantage les entreprises aux troubles
musculo-squelettiques afin que ceux-ci fassent des
efforts en termes de prévention. La prévention des risques de TMS
est d’ailleurs l’une des principales cibles du Plan de
Santé au Travail 2010-2014 (le PST2), plan pour lequel
tous les acteurs (préventeurs, partenaires sociaux, Etat et
entreprises) se sont engagés.
Les
risques psychosociaux (RPS)
Les RPS constituent une forme de pénibilité moins facilement
observable que les conséquences physiologiques de la pénibilité
au travail. Ils ne sont pas encore clairement définis
d’un point de vue juridique et l’on ne dispose
pas encore d’études complètes. Le stress au travail est
probablement le seul risque pour lequel on a pu mener des
observations un peu poussées : l’INRS, en collaboration avec
Arts et Métiers ParisTech, a chiffré à 2-3 milliards d’euros le
coût social du stress en France en 2007. Le terme de stress est
d’ailleurs souvent le terme générique utilisé pour parler de RPS.
Il a fait l’objet de plusieurs modélisations (les modèles de
Karasek et de Siegrist étant les plus connus) qui ont aidé à sa
mesure.
Bien qu’elle ne prenne en compte que certains facteurs, l’enquête Sumer reste l’étude la plus pertinente des RPS. De ces modèles, on retient que le stress naît de la confrontation d’éléments incompatibles entre eux, une confrontation source de tension. L’Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail décrit le stress comme étant un « déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face ».
Tous les chercheurs s’accordent à dire que les RPS sont plurifactoriels, impliquant notamment les relations entre individus ainsi que l’organisation du travail. On peut classer ces facteurs en 4 groupes :
- Organisation et exigences du travail : objectifs demandés, concentration nécessaire, pertinence des ordres de la hiérarchie, autonomie...
- Management et relations de travail : nature et qualité des relations entre collègues et entre strates de la hiérarchie, reconnaissance...
- Prise en compte des valeurs et attentes des salariés : développement des compétences, équilibre vie privée/professionnelle, conflits d’éthique...
- Changements du travail : conception des changements de tout ordre, nouvelles technologies, insécurité de l’emploi, restructurations...
Bien que psychosociaux, ces risques ont des effets sur la santé des travailleurs. Il est aujourd’hui prouvé qu’un stress chronique peut entraîner un risque pour la santé mentale, un risque accru de pathologies de l’appareil moteur et des risques coronariens. Par ailleurs, les RPS se déclarent rarement de manière isolée : la dépression, l’anxiété, le stress et l’isolement social sont très souvent liés.
Tout comme les TMS, les RPS ont des effets non négligeables au
sein des entreprises, provoquant les phénomènes d’absentéisme, de
turn-over du personnel élevé, de non-respect des horaires ou
exigences de qualité, des problèmes de discipline, une baisse de
la productivité, une augmentation des accidents du travail, une
dégradation du climat social ou encore des atteintes à l’image de
l’entreprise, des phénomènes identifiables et donc
soignables.
Approche socioprofessionnelle des pénibilités
La notion de « métiers pénibles » paraît trop restrictive tant on peut distinguer de situations pour un même métier. En effet, un même métier peut s’exercer dans des conditions différentes suivant la structure de l’entreprise, les conditions de travail, la mise en place de mesures de prévention ou non...
Les éléments de précarisation du travail ont eux aussi des conséquences sur la santé. Par précarisation, on entend périodes de chômage, temps partiel imposé chez les femmes, travail en sous-traitance, précarisation contractuelle, toutes les conditions provoquant des conditions de travail pénibles.
Deux des indicateurs favoris de la pénibilité au travail sont le
nombre d’accidents du travail et le nombre de maladies
professionnelles. L’Organisation internationale du travail (OIT)
a d’ailleurs consacré la journée mondiale 2013 pour la
santé et la sécurité au travail aux maladies
professionnelles. Celles-ci sont la « la principale cause de
décès liés au travail à travers le monde » selon elle.
L’organisation a comptabilisé 2,34 millions de décès au travail
chaque année, 2,02 millions étant causés par diverses maladies
liées au travail, soit 5 500 morts par jour.
La médecine du travail : outil de détection des risques liés au travail
L’organisation de la médecine du travail a
récemment été réformée par la loi du 20 juillet
2011. Cette réforme entend asseoir son rôle comme acteur
de la santé au travail. Pour la première fois, la loi définit
les missions des services de santé au travail
(au lieu de ne préciser que celles du médecin du travail) et
prévoit une organisation pluridisciplinaire
autour du médecin du travail. Celui-ci peut ainsi être entouré de
compétences variées : infirmier, ingénieur de prévention,
ergonome, assistant de santé au travail, etc.
En ce qui concerne ses missions, elles sont centrées sur les salariés pris individuellement et sur la collectivité des travailleurs de façon à mener une veille sanitaire et une prévention primaire de la santé. La loi prévoit également un dispositif de suivi des expositions à des facteurs de risques professionnels et des facteurs de pénibilité. Celui-ci a pour but d’identifier le plus tôt possible les facteurs de risques auxquels les travailleurs peuvent être exposés de manière à mettre en place rapidement une politique de prévention de l’employeur et une action complémentaire du médecin du travail.
Certains organismes tentent, depuis des années, de mesurer la pénibilité des salariés. Evrest (Evolution et relations en santé au travail) en est un exemple. Grâce au recueil de questionnaires passés durant les entretiens médicaux, il analyse divers aspects du travail et de la santé des salariés. Ce questionnaire comprend de nombreux facteurs :
- des données sociodémographiques et professionnelles : âge, sexe, secteur d’activité, nombre de salariés...
- les conditions de travail : horaires, contraintes de temps, appréciations sur le travail, contraintes physiques, expositions diverses...
- la formation et le tutorat
- le mode de vie : activité physique, tabac, café, trajets domicile/travail...
- des données concernant la santé du patient d’un point de vue cardio-vasculaire, digestif, neuropsychique, ostéo-articulaire, dermatologique, auditif (plaintes, signes cliniques, gêne dans le travail, prises médicamenteuses, diagnostic)
Cette méthode appliquée sur plusieurs années a permis :
- de constituer une base nationale parmi ceux vus par les médecins du travail qui soit exploitable au niveau national mais aussi régional
- de permettre aux médecins de produire et exploiter les données dans le but d’améliorer la prévention et les réflexions sur la santé au travail
L’étude de la pénibilité permet ainsi de révéler quels sont les facteurs de nuisances au travail, une étape indispensable pour améliorer la situation des travailleurs.