Livre - Santé mentale - Les risques du travail

Santé mentale - Les risques du travail

TRAVAIL ET RELATIONS SOCIALES || RPS / stress / Incivilités
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23/10/2012
Santé mentale - Les risques du travail - Hubert Seillan
Santé mentale - Les risques du travail
Hubert Seillan
Editions Préventique, 2012
Médiatisé sous le terme commode de “risques psychosociaux”, le phénomène inquiète les entreprises, les administrations et les professionnels de la prévention. Écrit par des auteurs très pluridisciplinaires, le livre en fait une analyse serrée, tant au point de vue des causes et des effets, que des pratiques.

Constatant une croissance régulière des risques, il demande aux employeurs et aux professionnels d’accorder moins d’intérêt aux symptômes et d’approfondir l’analyse des conditions de travail.
Au sommaire de cet ouvrage de référence

  1. Repenser les risques dits psychosociaux
    • Sur la méthode
    • Sur le travail
  2. Le défi managérial
    • Quelques principes directeurs
    • Dans le concret de la prévention
  3. Les enjeux juridiques
    • Études de jurisprudence de portée générale
    • Le harcèlement moral
    • Le droit à l'expertise du CHSCT
  4. L'épreuve du suicide
    • Le cas de Rémy L., préventeur chez France Télécom
    • Bref état des lieux
    • Le suicide et l'indemnisation des ayant-droits

 

En exclusivité pour Préventica, un extrait de l’ouvrage « Santé mentale – Les risques du travail »

Médiatisées sous l’appellation de « risques psychosociaux », les relations entre le travail et la santé mentale font l’objet de l’attention soutenue des pouvoirs publics, des entreprises et des organisations syndicales. Le phénomène est certainement très ancien, mais son émergence sociale est récente. Longtemps immergés dans le silence et la douleur, les suicides liés au travail salarié qui sont l’expression majeure et dramatique des malaises, ont désormais un retentissement médiatique considérable.

Qualifiés d’accident du travail, ils font l’objet de procédures judiciaires en faute inexcusable et plus récemment de procédures pénales. Phénomènes longtemps cachés, les stress, harcèlements et autres souffrances mentales sont aujourd’hui placés dans la lumière du devant de la scène. Cette évolution était certainement nécessaire, car elle seule permet d’aborder frontalement l’étude des facteurs en cause. Cependant, si le travail est en cause, il n’est pas le facteur exclusif. La question est en effet éminemment polyfactorielle. D’autres données, personnelles et sociales, peuvent soit aggraver soit réduire le caractère pathogène des facteurs professionnels. Comme c’est le cas pour toutes les pathologies professionnelles multifactorielles, il est difficile d’établir l’origine du ou des facteurs déterminants. Comme l’escargot est un tout avec sa coquille, le salarié transporte ses vies sociales et familiales au travail. Mais ce tout est complexe, car le citoyen salarié n’est plus tout à fait citoyen en milieu du travail où il est en position de subordination.

La citoyenneté dans l’entreprise ne relève que du mythe ou d’une utopie sympathique. Cet antagonisme des logiques sociales et professionnelles peut être source d’insatisfactions, d’agressivités, de violences, d’actes conflictuels divers ; le phénomène n’est pas nouveau, mais ses manifestations se développent à la hausse depuis quelques années. Médiatisé par quelques auteurs brillants, animés du souci de la formule médiatique, il est vu comme une souffrance. Celle-ci serait, dans la logique du travail salarié, associée à la subordination et à l’encadrement organisationnel.

Source de bien des maux structurés dans une hiérarchie, des plus légers avec les stress, aux plus graves avec le suicide, en passant par les harcèlements moraux et sexuels, la souffrance au travail compte désormais parmi les risques professionnels. Ainsi sont apparus les risques psychosociaux.

La question est ancienne, mais les nouveaux termes qui l’encadrent montrent qu’elle est abordée comme une question nouvelle. Cette intention peut se justifier par l’importance qu’elle occupe aujourd’hui dans la vie des entreprises et des organisations, par l’intensité des passions qui l’animent et par les refus qui y sont exprimés. Mais comme toute question nouvelle manque de retours d’expériences, ses données sont mal identifiées et insuffisamment situées dans les champs du professionnel et du social. Leur analyse est dès lors bien souvent superficielle. Le raisonnement expérimental fondé sur l’observation et le questionnement des idées préconçues à partir du doute, est rare dans les pratiques.

Comment l’expliquer ? Nous observons d’une part que la question est souvent abordée avec passion et sous l’influence d’idéologies opposées au système socio-économique libéral. Nous remarquons d’autre part, que son traitement relève principalement de cliniciens psychiatres et psychologues et parfois des philosophes n’ayant qu’une connaissance superficielle de la vie des entreprises et des administrations. Nous pouvons également constater que les entreprises n’ont pas abordé franchement ce sujet jugé dérangeant, dans le cadre d’un dialogue social responsable. En conséquence, le sujet, malgré la multitude des colloques, des ouvrages et des cabinets spécialisés qui offrent leurs services, reste très mal connu.

Nous observons en outre que ce sont les symptômes plutôt que leurs causes qui font l’objet de l’attention des professionnels, ce qui n’a pas permis d’ouvrir la voie à des traitements efficaces. La prévention n’a quasiment aucune place significative dans les plans d’actions engagés qui relèvent de la limitation ou de l’adoucissement des impacts. Le regard tendu vers les émergences factuelles n’a pas été assez large pour s’attarder sur les facteurs. La méthode est dès lors en cause, une fois encore devons-nous dire. Quand le champ des investigations est aussi restreint, il ne permet pas de voir au-delà de l’immédiate proximité. Ces pratiques insuffisantes ne sont cependant pas exclusives de la question, car nous pouvons regretter qu’elles soient trop souvent l’exercice commun. Quand le couteau coupe, on regarde le couteau. Quand un tas d’engrais explose, comme à Toulouse en 2001, on regarde le tas et quand le doigt montre la lune, l’imbécile regarde le doigt, dit un dicton chinois bien connu. Les thérapeutiques du type pommade ont dès lors fleuri comme les fleurs au printemps, ce qui peut provoquer une impression de beauté, de réconfort et d’optimisme. Mais si les roses apportent de la joie et du bonheur, ce n’est que pour des temps très courts « puisqu’une telle fleur ne dure que du matin jusque au soir ».

Il est cependant bien difficile d’analyser la causalité et aucune recherche ne permet d’éclairer toutes les causes des causes, notamment lorsque l’on s’efforce d’en voir les interconnexions. Cette difficulté est d’autant plus forte que de nombreux faits restent plus probables que certains, et que les idées qui dirigent la pensée sont plus préconçues que vérifiées par la cohérence des données observées et retenues comme significatives. C’est ce qui explique que les observations effectuées soit le plus souvent ramenée à leurs causes les plus proches et les plus immédiates, c’est à dire à celles qui sont d’ordre relationnel et psychologique et qui sont qualifiées de facteurs psychosociaux ou même organisationnels. Cette vision est bien trop restreinte et trop passive pour satisfaire les exigences du raisonnement expérimental. Doit-on rappeler ici que celui-ci suppose en premier lieu d’aborder la recherche sans aucune idée préconçue, puis d’élargir le champ des investigations, d’engager des hypothèses, de les confronter aux observations, d’en rechercher la cohérence ce qui doit permettre d’en dégager les racines, c’est-à-dire les forces vives sur lesquelles il y aura lieu d’agir. Or s’il s’agit d’étudier les relations de la santé mentale et du travail, il est curieux que celui-ci soit réduit à ses dimensions relationnelles et psychologiques, même si celles-ci sont qualifiées d’organisationnelles.

Le travail est un processus lent qui développe des forces et des faiblesses, des satisfactions et des inconvénients, du bien être et du mal être, chez ceux qui l’animent. C’est un mixage de données humaines, techniques et organisationnelles dans lequel une personne est à la fois objet et sujet. C’est généralement un collectif formé d’individualités. C’est également un système contraignant qui subordonne la liberté. C’est enfin un terme porteur de cultures contrastées. Or toutes ces données relevant du professionnel sont trop insuffisamment recherchées, connues et appréciées pour permettre d’identifier leurs potentialités pathogènes. Mais la recherche ne saurait être limitée au champ du professionnel car elle ne peut ignorer les autres facteurs sociaux, familiaux et individuels. Claude Bernard a observé que « dans les corps vivants, de même que dans les corps bruts,
les phénomènes ont toujours une double condition d’existence». Ce dualisme ne saurait cependant avoir pour effet d’affaiblir le principe de la responsabilité de l’employeur dans le domaine de la santé au travail.

L’employeur ne peut en effet être responsable que des faits qui relèvent de ses pouvoirs. Sa responsabilité ne saurait donc être vue comme une donnée naturelle à la fonction, comme c’est trop souvent le cas, mais comme la conséquence d’un mauvais exercice de ses pouvoirs. Ainsi la prise en considération du dualisme des facteurs aura pour mission d’établir une classification entre les données professionnelles et les autres. En permettant d’éclairer chacun de ces champs, elle ouvre la voie à la prévision dont les résultats soutiendront les décisions utiles. Mais il sera prudent de se souvenir que « tout ce qui se ressemble n’est pas identique »

Les insuffisances des plans d’actions mis en œuvre sous de tels auspices, commencent à être perçues. Les retours sur investissements que font les dirigeants et les organisations syndicales sont jugés très faibles. Tous attendent autre chose. Mais, si l’on veut que les risques dits psychosociaux soient traités comme tous les autres risques professionnels, la méthode doit donc être repensée. Commençons en faisant un effort de vocabulaire, en écartant ce vocable ambigu de risques psychosociaux et en ne connaissant que les risques du travail pour la santé mentale.