C’est l’occasion de dresser un panorama général des obligations de vigilance existantes en droit français, qui a toujours eu un « coup d’avance » dans ce domaine.
Que recouvre la « vigilance » ?
L’obligation de vigilance mise à la charge des opérateurs économiques en qualité de donneurs d’ordres, se décline au travers de différents régimes juridiques éparpillés dans différents textes (il n’existe pas -encore- de Code de la vigilance en entreprise). Certains portent sur des obligations particulières, d’autres ont au contraire une dimension beaucoup plus globale et structurante pour l’activité.
On peut parler de « 50 nuances de vigilance », mais toutes ces obligations ont deux dénominateurs communs, à savoir :
- en amont : la nécessité d’une approche par les risques ;
- en aval : de lourdes sanctions en cas de manquement.
Toute entreprise, qu’elle intervienne en tant que cliente ou fournisseur, doit donc aujourd’hui bien connaître ce cadre normatif et se doter des moyens adéquats (gouvernance, humain, financier, technique) pour assurer sa conformité (compliance) et être en mesure de justifier de l’accomplissement des diligences requises.
Cf. la notion de due diligence exprimée par la directive CS3D.
Le choix d’externaliser des activités ou services hors du « cœur de métier » pour des raisons économiques, ne permet ainsi nullement de se désintéresser de la manière dont sont respectés les droits humains au travail, l’environnement ou l’éthique des affaires
Cette exigence de « vigilance » concerne-t-elle seulement les donneurs d’ordres ?
En santé sécurité au travail, il est souvent question de l’enjeu de vigilance partagée. Ici, les choses sont similaires.
Il est essentiel de bien considérer que s’il en va de la responsabilité des donneurs d’ordre, dans le même temps, la capacité à se conformer à ces exigences constitue un enjeu de premier plan pour les entreprises intervenant dans leur « chaîne de valeur ».
Celle-ci sera de plus en plus déterminante pour la pérennité des entreprises : accès aux marchés, référencement, accès au crédit, assurabilité, marque employeur, valorisation, etc.
Ces changements ont ainsi vocation à infuser sur le long terme dans l’organisation des entreprises.
Sans entrer ici dans le détail de chaque dispositif, plusieurs obligations sont incontournables (* liste non exhaustive sachant qu’il existe de nombreuses autres obligations particulières ou sectorielles) :
Objet | Références | Périmètre | Risques principaux |
Obligations structurantes d’ordre global | |||
Mise en place d’un plan anticorruption à partir d’une cartographie des risques sur toute la chaîne de valeur | Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 « Sapin II », art . 17 | Société employant au moins 500 salariés, ou appartenant à un groupe de sociétés dont la société mère a son siège social en France et dont l'effectif comprend au moins 500 salariés, et dont le chiffre d'affaires ou le chiffre d'affaires consolidé est supérieur à 100 millions d'euros | Mécanismes de sanction, y compris pécuniaire (AFA) pouvant aller jusqu’à 200 000 euros (personnes physiques) et 1 million d’euros (personnes morales). Responsabilité pénale en cas d’infraction : convention judiciaire d’intérêt public (CJIP avec notamment une amende d’intérêt public plafonnée à 30 % du CA) |
Reporting de durabilité (remplacement de la déclaration de performance extra-financière) : nouveau référentiel standardisé et certifié d’informations sur la durabilité du modèle d’affaires, selon l’analyse de double matérialité d’impact dans le domaine environnemental, social et de la gouvernance (thématiques « ESG ») | Directive « CSRD » Ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023 et textes d’application | Sociétés cotées sur les marchés réglementés européens, grandes sociétés européennes et grandes entreprises non européennes ayant un ancrage européen significatif. Période transitoire instituée en fonction des catégories d’entreprise. | Injonction de communication Possibilités d’exclusion des marchés publics |
Devoir de vigilance des entreprises sur toute la chaîne de valeur pour prévenir et réparer lesincidences négatives en matière de droits de l’homme et d’environnement | Directive « CS3D »
*Actuellement L225-102-4 CCom | A terme : entreprises et sociétés mères européennes ayant un effectif > 1000 + un CA > 450 millions d’euros (ainsi que sociétés non européenne atteignant ces seuils dans l’UE, et franchises dans l’UE réalisant ayant un CA mondial > 80 millions d’euros dont au moins 22,5 millions d’euros générés par des redevances). *Le droit français actuel impose la mise en œuvre d’un plan de vigilance raisonnable à partir d’une cartographie des risques, applicable aux sociétés selon un double seuil d’effectif intégrant celui des filiales (5000 ou 10000 selon les cas). | Sanctions pouvant inclure des amendes allant jusqu’à 5% du chiffre d’affaires net mondial.
*Actuellement : possibilité d’injonctions judiciaire et d’engagement de la responsabilité civile en réparation du préjudice que l'exécution de ces obligations aurait permis d'éviter |
Obligations courantes d’ordre opérationnel concernant la réglementation du travail | |||
Obligation générale du chef d’entreprise utilisatrice de coordination des mesures de prévention en matière de risques professionnels | L4121-5 CT R4511-1 s. CT | Toute opération intervenant dans l’établissement d’une entreprise utilisatrice (EU) faisant intervenir une ou plusieurs entreprises extérieures (EEI) et donnant lieu à des risques d’interférences entre activités, installation et matériels de | Délit d’inobservation des règles de sécurité (avec ou sans accident) Délit de blessures involontaires en cas d’accident
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Obligation de l’entreprise d’accueil de mettre en place un protocole de sécurité | R4515-1 s. CT | Opérations de chargement ou de déchargement faisant intervenir un transporteur | |
Obligation du maître d’ouvrage en matière de coordination en matière de sécurité et de santé des travailleurs sur les chantiers du BTP | L4531-1 s. CT, R4532-1 s. CT | Opérations de bâtiment et de génie civil | |
Obligation de vérification de la régularité de la situation du prestataire sur le plan juridique, sociale et fiscale | L8221-1 s. CT L243-15 CSS L1262-4-1 CT | Exigence à la conclusion du contrat puis régulièrement (6 mois) de documents : -existence légale (immatriculation, etc.) - attestation de vigilance des organismes sociaux (URSSAF/ CMSA) -attestation de régularité d’emploi de travailleurs étrangers + liste nominative - documents spéciaux en matière de détachement transnational de travailleurs en France - carte d’identification professionnelle des travailleurs dans le BTP | Infraction(s) de travail illégal (délit de travail dissimulé pat dissimulation d’emploi ou d’activité, délit de prêt de main-d’œuvre illicite, délit de marchandage, d’emploi irrégulier de travailleurs étrangers) Mise en jeu de la solidarité financière du donneur d’ordres (créances fiscales, sociales) Inscription sur liste noire Amende administrative (détachement) |
Obligation de vigilance du donneur d’ordres/ maître d’ouvrage en matière de respect de la législation sociale
| L8281-1 | Signalement d’infractions du cocontractant ou de ses sous-traitants directs ou indirects en matière de droit minimaux : -libertés individuelles et collectives dans la relation de travail ; -Discriminations et égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ; - Protection de la maternité, congés de maternité et de paternité et d'accueil de l'enfant, congés pour événements familiaux ; -Conditions de mise à disposition et garanties dues aux salariés par les entreprises exerçant une activité de travail temporaire ; -Exercice du droit de grève ; -Durée du travail, repos compensateurs, jours fériés, congés annuels payés, durée du travail et travail de nuit des jeunes travailleurs ; -Conditions d'assujettissement aux caisses de congés et intempéries ; -Salaire minimum et paiement du salaire, y compris les majorations pour les heures supplémentaires ; -Règles relatives à la santé et sécurité au travail, âge d'admission au travail, emploi des enfants | Amende pénale |
Obligation de vigilance du maître d'ouvrage/ donneur d'ordre sur le respect de la législation sociale par l’employeur étranger ayant recours au détachement transnational de travailleurs | L1263-3 CT L1262-4-3 | Signalement d’infractions du cocontractant ou de ses sous-traitants directs ou indirects en matière de droit minimaux applicables aux salariés détachés | Mise en jeu de la solidarité financière avec l’employeur au titre des dettes sociales |
Obligation de vigilance du donneur d’ordres en matière d’hébergement collectif | L4231-1 CT | Recours par le cocontractant ou un sous-traitant direct ou indirect à des conditions d'hébergement collectif incompatibles avec la dignité humaine | Substitution dans les obligations de l’employeur |
Obligation de vigilance du donneur d’ordres en matière de respect des salaires minimum légal ou conventionnel | L3245-2 | Versement par le cocontractant ou un sous-traitant direct ou indirect de rémunérations inférieures aux minimas | Mise en jeu de la solidarité financière du donneur d’ordres pour les dettes sociales de l’employeur |
Sur ces items, il existe en pratique une très grande diversité de politiques contractuelles, plus ou moins précises ou sophistiquées.
Dans tous ces champs, l’entreprise prestataire doit montrer « patte blanche » à son client, au-delà des exigences de certification par exemple.
Le client quant à lui doit veiller à bien faire respecter ces obligations et à organiser un suivi (sans immixtion dans l’exécution de la prestation), le risque étant typiquement celui d’écarts entre les engagements écrits et la pratique si celle-ci est plus ou moins laxiste.
On se trouve dans le domaine du droit dur (hard law) et comme dit l’adage, « dura lex, sed lex » …
Les cas de recherche systématique de (co)responsabilité civile ou pénale du donneur d’ordre sont légion. Le domaine des accidents du travail en est une parfaite illustration.