En droit positif, les prescriptions de sécurité applicables,
notamment en matière de conception et d’utilisation des
équipements de travail, sont nombreuses, et leur inobservation
alimentent largement le contentieux de la responsabilité, tant
pénale que civile.
Qu’en est-il lorsque l’utilisation d’un produit défectueux est à
l’origine d’un accident de travail (ou d’une maladie
professionnelle) ?
En pratique, la question alimente peu le contentieux dans la
mesure où en particulier, le régime juridique de la faute
inexcusable de l’employeur, traditionnellement apprécié sous le
prisme de l’obligation de sécurité de résultat, conduit souvent
et de manière discutable à se satisfaire d’une analyse
superficielle des éléments techniques du dossier, dès lors qu’il
est relevé que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du
danger auquel était exposé le salarié et n’a pas pris les mesures
nécessaires pour l’en préserver.
Dès lors qu’un manquement (par exemple en matière de formation) a
indirectement contribué au dommage, la responsabilité de
l’employeur est très généralement retenue, permettant au salarié
victime d’obtenir réparation complémentaire de leurs chefs de
préjudices non couverts par la sécurité sociale.
On rappellera toutefois que la jurisprudence a évolué ces
dernières années et favorise une meilleure égalité des armes, en
imposant aux juridictions de prendre en considération l’ensemble
des éléments de preuve fournis par l’employeur pour sa défense,
ce qui doit permettre une meilleure analyse en profondeur (cf.
pour une application récente en matière de faute inexcusable :
Cass. Civ. 2eme, 8 octobre 2020, n° 18-25021 et
18-26677).
Parmi les moyens d’exonération possibles, figure toujours en
première place la démonstration d’une absence de conscience du
danger ou d’une cause étrangère exclusive de tout au manquement,
imprudence ou négligence.
Typiquement dans ce registre, l’employeur doit pouvoir échapper à
l’engagement de sa responsabilité aussi bien civile que pénale,
si l’accident révèle que le produit était défectueux, et qu’il
peut établir que cette défectuosité, imputable à son producteur,
constitue la cause exclusive de l’accident.
Des poursuites pénales peuvent d’ailleurs être dirigées
directement contre le fabricant, en cas d’accident lié à un vice
ou une non-conformité de son équipement, constitutif de
négligence ou de manquements réglementaires (cf. notre précédent article sur l’obligation de
sécurité du fabricant)
Sur le plan civil, en fonction de la qualité de la victime,
l’indemnisation des préjudices peut s’avérer complexe dans la
mesure où on peut se retrouver à la frontière entre plusieurs
régimes de responsabilité : accidents du travail, responsabilité
du fait des produits défectueux, responsabilité du fait des
choses, accident de la circulation, etc.
Lorsque la victime de l’accident du travail est un travailleur
salarié (ou assimilé), celui-ci pourra toujours par défaut se
retourner et agir en responsabilité à l’encontre du fabricant,
soit sur le terrain du droit commun de la responsabilité extra
contractuelle (CSS, L454-1), soit selon le régime spécial de la
responsabilité du fait des produits défectueux, sachant qu’il
n’est pas exigé de contrat entre le producteur et la victime (C.
Civ. art. 1245 et s.).
Ce dernier présente l’avantage d’être un régime de responsabilité
de plein droit, non fondé sur la preuve d’une faute.
Précisons ici quelques contours de son cadre juridique ; la loi
prévoit que :
- L'action en réparation de la victime est soumise à un délai
de prescription de 3 ans à compter de la date à laquelle elle a
eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de
l'identité du producteur.
-
- Dans tous les cas, la responsabilité du producteur au
titre du produit défectueux (en-dehors d’une faute de sa
part) est éteinte 10 ans à compter de la mise en circulation
du produit.
- Dans tous les cas, la responsabilité du producteur au
titre du produit défectueux (en-dehors d’une faute de sa
part) est éteinte 10 ans à compter de la mise en circulation
du produit.
- Le producteur reste responsable des conséquences de sa faute
et de celle des personnes dont il répond.
- La victime doit prouver :
- 1.Le dommage ;
- 2.Le défaut ;
- 3.Le lien de causalité entre le défaut et le dommage.
- La faute n’est donc pas exigée pour mettre en œuvre ce régime de responsabilité, étant précisé que le producteur peut être responsable du défaut même lorsque le produit :
-
- A été fabriqué dans le respect des règles de l'art ou de normes existantes ;
- A fait l'objet d'une autorisation administrative (par
exemple en matière de médicament).
- Un produit est considéré comme défectueux lorsqu'il « n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre », ce qui doit être apprécié compte tenu de toutes les circonstances, et notamment :
-
- De la présentation du produit ;
- De l'usage qui peut en être raisonnablement attendu
- Du moment de sa mise en circulation initiale.
- En jurisprudence, un défaut d’information sur les modalités
d’utilisation dans la notice du produit permet de caractériser le
caractère défectueux du produit (Cass. Civ. 1ere, 9 juillet 2009,
n° 08-11073). La responsabilité est donc potentiellement large
puisqu’elle s’étend au-delà de la seule existence d’un vice de
fabrication.
- A noter que la défectuosité doit être distinguée du défaut de
conformité, lequel correspond à la non-conformité de la chose
vendue par rapport aux stipulations contractuelles et permet
d’agir en résolution judiciaire du contrat de vente pour
manquement du vendeur à son obligation contractuelle de
délivrance d'un bien conforme.
- La responsabilité du fait des produits défectueux est
applicable à la réparation de 2 types de dommages, à savoir :
- Celui qui résulte d'une atteinte à la personne ;
et/ou
- Celui qui résulte d'une atteinte à un bien autre que le
produit défectueux lui-même, au-delà d’un montant de
franchise de 500 euros (cf. décret n° 2005-113 du 11 février
2005).
A noter que dans les relations entre professionnels, une clause contractuelle limitant la responsabilité du producteur en cas de produits défectueux est possible, mais uniquement pour les dommages causés aux biens qui ne sont pas utilisés par la victime principalement pour son usage ou sa consommation privée. Dans les autres cas, une telle clause est illicite et réputée non écrite. - Celui qui résulte d'une atteinte à la personne ;
- Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut
de son produit (entendu comme tout bien meuble, même s'il est
incorporé dans un immeuble, y compris l’électricité), qu'il soit
ou non lié par un contrat avec la victime, que ce soit dans le
cadre d’une utilisation à titre privé ou professionnel.
Précisons que l’intégrateur est présumé solidairement responsable avec le producteur lorsque le dommage est causé par le défaut d'un produit incorporé dans un autre, ce qui par exemple peut être qu’en matière d’équipements de travail.
Lorsque le producteur ne peut être identifié, le vendeur, le loueur (sauf s’il est crédit-bailleur), ou tout autre fournisseur professionnel est responsable du défaut de sécurité du produit, dans les mêmes conditions que le producteur, à moins de désigner dans les 3 mois de la réclamation son propre fournisseur ou le producteur.
- En pratique, ce régime d’apparence favorable à la victime
doit toutefois être nuancé sachant que de principe le producteur
est responsable de plein droit, il peut toutefois s’exonérer en
apportant la preuve soit :
-
- Qu'il n'avait pas mis le produit en circulation ;
- Qu’au regard des circonstances, le défaut est né
postérieurement à la mise en circulation du produit ;
- Que le produit n'a pas été destiné à la vente ou à toute
autre forme de distribution ;
- Qu’en l'état des connaissances scientifiques et
techniques, au moment où il a mis le produit en circulation,
il n'a pas permis de déceler l'existence du défaut (non
révocable lorsque le dommage a été causé par un élément du
corps humain ou par les produits issus de celui-ci) ;
- Que le défaut est dû à la conformité du produit avec des
règles impératives d'ordre législatif ou réglementaire ;
- Que le défaut de la partie composante du produit est imputable à la conception du produit dans lequel cette partie a été incorporée, ou aux instructions du producteur.
- Qu'il n'avait pas mis le produit en circulation ;
Point important lorsqu’il est question d’accident du travail, la
responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée,
lorsqu’au regard des circonstances, le dommage est causé
conjointement par un défaut du produit et par la faute de la
victime ou d'une personne dont la victime est responsable (cf.
collègues, supérieur hiérarchique, chef d’entreprise, etc.).
Toutefois, vis-à-vis de la victime, la responsabilité du
producteur n'est pas réduite par le fait d'un tiers ayant
concouru à la réalisation du dommage (il disposera contre
celui-ci d’une action récursoire au titre le cas échéant d’un
partage de responsabilité).
En pratique, la question de la preuve et de l’expertise technique
est centrale, afin notamment de dénouer la question de l’état des
connaissances techniques et scientifiques (sachant qu’en soi,
l’existence d’une incertitude scientifique ne suffit pas à
caractériser le défaut de sécurité).
De même, l’enjeu assurantiel est capital pour le producteur, et
nécessite une grande vigilance sur le contenu des clauses
contractuelles, comme l’illustre une décision récente relative
aux exclusions de garanties (Cass. Civ. 2eme, 17 décembre 2020,
n° 18-24103, à propos d’un défaut d’équipement à l’origine de
l’explosion dans une installation industrielle). Dans cette
affaire, les juges ont souverainement estimé que l’exclusion de
garantie ne pouvait toutefois être opposée par l’assureur à
l’assuré, dans la mesure où l’expertise avait fait ressortir «
qu’aucun des moyens couramment employés dans l'industrie ne
permettait de détecter le vice interne qui affectait les tuyères
avant leur mise en service, et que ce vice de construction
présentait même un caractère pernicieux en ce sens qu'il ne
pouvait être révélé ni par une anomalie de débit (…) ni par les
alarmes de température qui équipaient le circuit », et qu’au
regard de cette impossibilité, il n’incombait pas au fabricant de
réaliser des vérifications plus amples que celles
effectuées.
Observons que tout cela revêt un enjeu particulier dans le
contexte de la crise sanitaire actuelle et de campagne massive de
vaccination, même si l’hypothèse qu’elle puisse être rendue
obligatoire en entreprise semble très improbable…