Giulia SILVESTRINI - Revue en ligne Actas.it : La justice italienne a joué un rôle précurseur dans le domaine de la sécurité au travail en pointant les responsabilités des donneurs d’ordre

La justice italienne a joué un rôle précurseur dans le domaine de la sécurité au travail en pointant les responsabilités des donneurs d’ordre

|| Santé au travail / Conditions de travail
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15/10/2012
Giulia SILVESTRINI - Revue en ligne Actas.it
Giulia SILVESTRINI
Rédacteur en chef
Revue en ligne Actas.it
L’Italie frappe fort dans le domaine de la prévention de la santé et de la sécurité au travail. Depuis quelques années, la justice italienne pointe du doigt l’organisation de l’entreprise qu’elle déclare responsable des accidents de ses salariés. La législation en prend note dans la prévention de ces risques. Giulia Silvestrini, rédactrice en chef de la revue en ligne Actas.it, nous raconte.

Expliquez-nous comment fonctionne la législation en matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles en Italie ?
Comme partout en Europe, l’Italie a connu après la 2nde guerre mondiale, une période de forte croissance économique aussi bien dans l’industrie que le bâtiment. Cette période de croissance que nous pourrions presque qualifier d’effrénée s’est malheureusement accompagnée d’une hausse exponentielle des accidents du travail. L’Etat s’est alors employé à mettre en place des lois très strictes pour sanctionner les entreprises.
C’est en 1994 que ces premières lois ont été révisées avec un arrêté fondamental pour la santé et la sécurité au travail : l’arrêté n° 626. Cet arrêté a vraiment posé les bases de notre politique de santé et de sécurité au travail aujourd’hui et a permis d’améliorer considérablement l’environnement de travail.
En 2008, un nouveau texte unique a vu le jour : l’arrêté n°81 / 2008.
Ce décret transpose en Italie, la directive européenne sur la protection de la sécurité et la santé des travailleurs, et qui prévoit des sanctions spécifiques en cas de non-respect par les sociétés.


L’histoire de l’Italie a été marquée par des procès retentissants en matière de catastrophes industrielles ? Quels ont été leur impact ?
La première catastrophe industrielle d’après-guerre qui a bouleversé le pays est celle de Seveso en 1976. Un nuage toxique de dioxine sorti d’une usine a ravagé le territoire.  Compte tenu de l’importance de cette catastrophe, elle a donné son nom à la directive européenne 96/82/CE, dite Seveso, qui impose aux États membres de l'Union européenne d'identifier les sites industriels présentant des risques d'accidents majeurs.
Dans le domaine de l’amiante, le procès Eternit en 2011 a donné lieu à une instruction de près de 7 ans pour déterminer où se situaient exactement les responsabilités dans ce désastre sanitaire. La décision qui a été rendue est une avancée sans précédent puisqu’elle a clairement mis en cause les donneurs d’ordre et la politique générale de l’entreprise, voire le cartel mondial de la chimie, plutôt que les seuls dirigeants des usines concernées.
A la même époque, s’est déroulé le procès Thyssenkrup : le 6 décembre 2007, sept ouvriers de la ThyssenKrupp mouraient brûlés vifs des suites d’un incendie sur la ligne 5 de l’usine, celle du laminoir. L’aciériste, qui entendait fermer à terme son usine turinoise, avait décidé de ne plus investir dans la sécurité sur le lieu de travail : extincteurs vides, absence d’installation anti-incendie…  Dans cette affaire, c’est le directeur général de la branche acier du groupe qui a été condamné le plus lourdement pour « homicide volontaire ».
La justice italienne a joué un rôle précurseur dans le domaine de la sécurité au travail en liant l’accident à l’organisation même de l’entreprise, et à sa recherche de profits au détriment de la sécurité de ses salariés.
Ces grandes décisions de justice ont profondément impacté l’esprit de la législation, en impliquant la responsabilité des hauts dirigeants de l’entreprise dans les politiques de santé et de sécurité au travail menées à tous les niveaux.


Aujourd’hui, quels sont les axes sur lesquels travaillent les organismes de prévention en Italie ?

Culturellement l’Italie est le « pays de l’automobile «  et l’usage de la route y est très répandu que ce soit pour le transport de marchandises ou les déplacements professionnels. Nous travaillons donc beaucoup sur la prévention du risque routier et plus particulièrement des accidents de déplacement.
Ensuite, il y a une vraie culture de la sécurité qu’il faut arriver à ancrer dans les mentalités, tout cela est encore fragile. Avec la crise actuelle et les contraintes budgétaires en découlant, nous devons veiller à ce que la santé et la sécurité au travail restent des postes d’investissement prioritaires et à préserver les progrès réalisés tout au long de ces années.