Alain d’IRIBARNE - ACTINEO : Performance au travail : et si tout commençait par les bureaux

Performance au travail : et si tout commençait par les bureaux

|| Aménagements tertiaires
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18/12/2012
Alain d’IRIBARNE - ACTINEO
Alain d’IRIBARNE
Directeur de recherches au CNRS, Président du Conseil scientifique
ACTINEO
Quand on parle qualité de vie au travail, on entend stress, harcèlement, violence et même suicide. Mais qu’entend-on lorsque l’on aborde la qualité de vie au bureau ? Organisation des espaces de bureaux ? Aménagement ? Alain d’Iribarne, directeur de recherches au CNRS et président du Conseil scientifique ACTINEO, nous éclaire sur la relation entre le travail et la satisfaction dans le tertiaire.


Vous avez conduit un vaste travail d’enquête sur la qualité de vie au bureau. C’est la première fois qu’une étude se consacrait ainsi exclusivement aux personnes qui travaillent dans ce type d’environnement
Effectivement, jusqu’à présent, aucun des études ou baromètres existants portant sur la qualité de vie au travail ne s’était focalisé uniquement sur les personnes qui travaillent dans des bureaux.
Nous sommes partis d’une question en apparence simple : « L’organisation des espaces de bureaux et leurs aménagements ont-ils un impact sur la satisfaction et le bien-être au travail ? Plus largement, cette qualité de vie au travail est-elle synonyme de plus grande efficacité économique pour l’entreprise ? » Mais avec une hypothèse beaucoup plus complexe : « Il y aurait bien un impact sur la satisfaction et le bien-être des salariés ainsi qu’une influence sur l’efficacité économique des entreprises, mais dans le cadre d’une interdépendance systémique qui obligerait à élargir fortement les problématiques dominantes. »
A partir de là, nous avons développé une approche qualitative fondée sur des groupes de travail et des témoignages réunissant des experts de différents horizons et convictions : aménageurs d’espaces, responsables immobiliers, consultants, chercheurs académiques…
Approche qualitative que nous avons complétée avec des études quantitatives. La dernière a été menée par TNS Sofres à partir d’un échantillon classique de plus de 4 000 actifs au travail, sur un échantillon de 600 salariés travaillant dans tous les types d’entreprise - des petites ou très grandes, du privé ou de la fonction publique -, ce qui donne l’importance des biais pouvant exister avec les enquêtes classiques.
Ces grandes enquêtes combinées aux approches qualitatives nous ont permis, non seulement de valider notre hypothèse de départ, mais aussi, de l’élargir en prenant en compte un certain nombre de facteurs supplémentaires qui entrent en interférence avec ceux initialement retenus. Cette combinaison d’éléments impacte aussi bien la qualité de vie au bureau que la performance au bureau.

La qualité de vie au bureau, qu’est-ce que c’est alors ?
Pour un salarié, le sentiment de bien-être au travail et par conséquent sa motivation et son efficacité productive – ce qui est beaucoup plus que sa productivité - vont se construire à partir d’un jeu complexe, faisant intervenir différentes composantes qui intéressent tout autant la vie de l’entreprise et sa gestion que la vie des salariés avec leurs aspirations et leurs modes de vie.
D’un côté donc, la morphologie du bâti et son aménagement, la localisation de l’entreprise, l’organisation du travail, la gestion des ressources humaines, le style de management, la culture de l’entreprise. De l’autre, les salariés eux-mêmes, avec leurs grandes diversités de profils socio-démographiques, leur sensibilité et leur exigence d’équilibre entre vie au travail et vie en dehors du travail.
Les managers d’aujourd’hui se doivent de prendre en compte l’ensemble de ces paramètres pour favoriser des situations de bien-être au travail et pour optimiser la performance de leurs équipes. Cette approche est incontournable.

Que pensez-vous des délocalisations de sièges sociaux en grande couronne parisienne ?
En cherchant à faire des économies ou pour regrouper des services éparpillés, les entreprises ont parfois délocalisé les bureaux loin des centres de vie et ont aménagé des plateaux de style hall de gare, ce qui a engendré des résultats désastreux allant de la démotivation de leurs équipes et de mouvements de grève jusqu’au départ des éléments les plus performants. On assiste aujourd’hui à des retours sur ces décisions.
Les projets de construction actuels « intelligents » prennent en compte la vie au travail et en dehors du travail avec des choix d’implantation tenant compte de la desserte en transports publics mais aussi des localisations des logements de leurs salariés. C’est un progrès considérable mais très récent, et loin d’être devenu la norme.

La qualité de vie au bureau, est-ce la fin de l’open space ?
Les open space ont le vent en poupe et on ne voit pas ce qui pourrait arrêter le mouvement tant ils deviennent partie intégrante de ce que veut être l’entreprise moderne et performante. La qualité de vie au bureau est compatible avec le concept d’open space mais à la condition que les donneurs d’ordre ou maîtres d’ouvrage conçoivent ce que j’appelle dans l’ouvrage publié sous l’égide d’ACTINEO, un « open space intelligent ».
Les entreprises qui ont adopté ce type d’open space constatent que leurs salariés peuvent être heureux et efficaces au travail, à condition de respecter un certain nombre de conditions d’aménagement des espaces et d’organisation du travail.
Concernant l’organisation formelle du travail et l’aménagement de l’open space en lui-même, nous avons constaté dans ces entreprises des éléments communs et préconisons de réfléchir à « l’anti hall de gare » avec :

  • un fractionnement de l’espace en sous-espaces respectant l’organisation du travail et la cohérence des équipes ainsi que leurs identités ;
  • la possibilité de donner des points de repère aux équipes dans ces sous-espaces, qui permettent une appropriation collective ;
  • l’attention portée aux éléments d’atmosphère tels que le bruit, les couleurs, la lumière ;
  • l’appropriation et la possibilité de personnalisation par l’individu de son espace, qui sera différent de celui de son voisin, ce qui lui donne un souffle de liberté indispensable.

L’aménagement des bureaux, c’est aussi réfléchir en termes d’organisation du travail ?
Bien sûr, par exemple dans les open space intelligents, nous recommandons l’aménagement d’espace satellites pour tenir compte des différentes modalités d’exercice du travail.  Ainsi, le salarié travaillant en open space doit aussi avoir la possibilité de s’isoler seul ou à plusieurs à tout moment et en toute confidentialité, d’où la nécessité de prévoir de petites salles ou boxes de réunion en libre accès qui vont cohabiter avec des salles de réunions plus formelles et mieux équipées, pour les réunions planifiées.

Concernant l’organisation informelle du travail, on assiste dans les entreprises à la réhabilitation des cafétérias qui redeviennent des lieux d’échanges et de lien social.
Les entreprises les plus avancées dans ce processus créent même des espaces de rencontres avec des logiques d’agora en place de village ou campus.
Dans ces initiatives, on retrouve l’idée que, pour favoriser les coopérations voire les mutualisations de connaissances, il faut redonner de l’autonomie et de la liberté au salarié. Le constat s’impose que cela impacte positivement sur son efficacité, dans la mesure où il a les compétences voulues et que cela correspond à ses aspirations réelles.

Quel impact sur la conduite des projets immobiliers ?
Effectivement, les enseignements de cette étude nous conduisent à nous interroger sur la gestion de projet immobilier : qui va en être le chef de projet ? Quelles vont être les parties prenantes, au-delà des directions immobilières agissant sous la surveillance étroite des directions financières : les directions des ressources humaines, les représentants syndicaux et les CHSCT, les directions opérationnelles concernées, des consultants en ergonomie, les salariés eux-mêmes...? Projet participatif, jusqu’où ? Et après, comment effectuer le suivi et vérifier l’appropriation d’un nouveau lieu de travail par les équipes ? Se remettre en question et apporter des améliorations ?
Il y a là bien des questions que toute entreprise qui envisage de construire ou de réaménager des bureaux devra se poser.

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