Paul FRIMAT - CHRU DE LILLE : La médecine du travail est en danger suite à des décennies de mauvais calculs

La médecine du travail est en danger suite à des décennies de mauvais calculs

|| Etablissements de santé - Fonction pubique
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01/09/2010
Paul FRIMAT - CHRU DE LILLE
Paul FRIMAT
Professeur de médecine du travail au CHRU de Lille
CHRU DE LILLE

Paul FRIMAT, Responsable du Service de Médecine du travail et des pathologies professionnelles, professeur de médecine du travail au CHRU de Lille, vice-président de Lille 2, Président de l’ISTNF, était présent à Préventica Lille. Il revient pour nous sur l’événement, dans un contexte d’évolution de la médecine du travail, au sujet de laquelle il a remis une étude collaborative aux membres du Conseil d’orientation des conditions de travail (mai 2010).

Vous étiez présent sur le Congrès /Salon Préventica Nord Europe, événement que vous connaissez bien. Quelles ont été vos impressions ?
En effet, Préventica n’est pas une découverte pour moi. D’une part, il s’agit de sa seconde visite à Lille. D’autre part, le Congrès/Salon se déplace dans toutes les grandes villes françaises et, à chaque fois, des universitaires et des formateurs régionaux sont invités. C’est à mon sens, l’un des nombreux intérêts de l’événement : Préventica contribue à la rencontre des acteurs de la santé au travail et à la dynamique de création de pôles d’excellence visant à regrouper et thématiser la formation dans chaque métropole régionale. A l’heure où l’on parle de plus en plus de prévention et de santé au travail, n’oublions pas que 50% des formateurs partiront à la retraite d’ici à 2015. Il faut réagir maintenant et Préventica offre l’opportunité de regrouper en un lieu unique, les universitaires comme moi, les entreprises, les salariés et leurs représentants ainsi que les préventeurs. Provoquer la rencontre des acteurs de toutes les disciplines et mutualiser les expertises, observer l’évolution de leurs outils, préfigurent l’émergence d’un nouveau visage de la santé au travail. Préventica est, plus que jamais, un des maillons d’une transformation attendue et nécessaire.

Les Services de Santé au Travail du Nord-Pas-de-Calais ont choisi Préventica pour annoncer leur regroupement sous une entité unique. Quel est votre sentiment sur le sujet ?
Lorsque Préventica est venu à Lille en 2008, on évoquait déjà l’intérêt pour les Services de Santé au Travail (SST) de se regrouper. A la fois pour répondre à la directive européenne de 1989, au rapport IGAS de 2008 et pour s’adapter à la nécessaire pluridisciplinarité qu’impose l’évolution de la santé au travail. Le regroupement des services et des compétences paraissait déjà être le moyen le plus efficient de faire face à la diminution de la démographie médicale et à l’apparition de nouveaux métiers. La création du Pôle Santé Grand Lille (l’un des quatre régionaux et second SST en France), installé sur l’un des plus gros bassins d’emploi français, permettra assurément de répondre plus efficacement aux besoins nouveaux des entreprises. Je suis ravi d’être le témoin de cette création qui, pour moi, va dans le bon sens. Le fait que ce regroupement s’opère sur Préventica est significatif : le Salon est un trait d’union entre les partenaires et les entreprises et s’attache depuis de nombreuses années à mettre en lumière le rôle de la médecine du travail. Rôle qui, rappelons-le, ne se résume pas à la visite médicale mais est le garant d’une prévention efficace.

A ce sujet, vous venez de rendre un rapport contenant des recommandations dans le domaine de la santé au travail. Vous y annoncez notamment, alors que la prévention des risques en entreprises évolue rapidement et favorablement, que la médecine du travail est en danger. Pouvez-vous nous expliquer ?
Oui, je confirme, la médecine du travail est en danger suite à des décennies de mauvais calculs des politiques. Le numerus clausus universitaire montre aujourd’hui ses limites : il ne permet plus le renouvellement des médecins du travail dont le nombre devrait diminuer de 60% à l’horizon 2015-2018. Par ailleurs, la société comme les pouvoirs publics n’ont jamais vraiment su ce qu’ils attendaient de la médecine du travail : du coup, les jeunes n’ont pas de visibilité quand à la profession. L’urgence est aujourd’hui de fixer les priorités et les missions des SST (services santé-travail). Je pense aussi que la clé est de préciser le rôle des CMT (commissions médico-techniques) et de développer des spécialisations, par branches... Il est nécessaire que les entreprises développent, en interne, des pôles de santé travail avec un médecin «coordonnateur», des infirmières et assistants spécialisés, en lien avec les IPRP dans un véritable souci d’actions pluridisciplinaires. En parallèle, un plan santé travail, à l’image du plan national, doit voir le jour dans les entreprises comme en Région. Alors seulement, l’on pourra réaliser un suivi efficace et à long terme des expositions et penser la prévention dans sa globalité (on est encore souvent dans une approche individuelle du salarié).

Pensez-vous que Préventica ait un rôle à jouer dans l’émergence de cette nouvelle médecine du travail ?
Evidemment. Préventica a une vraie responsabilité dans la démarche de sensibilisation des entreprises. Plate-forme de rencontres et d’échanges, l’événement offre un temps de parole à tous les acteurs de la santé au travail et leur permet d’avancer des hypothèses quant à l’essence même de leur métier. C’est l’un des rares endroits ou les acteurs incontournables de la discipline se retrouvent pour débattre avec les salariés. Préventica ne se contente pas d’être un débat d’experts à huis clos mais s’ouvre aux entreprises et impulse une forte médiatisation des idées : je pense que c’est primordial pour évoluer.