La médecine du travail est en danger suite à des décennies de mauvais calculs
Professeur de médecine du travail au CHRU de Lille
CHRU DE LILLE
Paul FRIMAT, Responsable du Service de Médecine du travail et des pathologies professionnelles, professeur de médecine du travail au CHRU de Lille, vice-président de Lille 2, Président de l’ISTNF, était présent à Préventica Lille. Il revient pour nous sur l’événement, dans un contexte d’évolution de la médecine du travail, au sujet de laquelle il a remis une étude collaborative aux membres du Conseil d’orientation des conditions de travail (mai 2010).
Vous étiez présent sur le Congrès /Salon Préventica Nord Europe, événement que vous connaissez bien. Quelles ont été vos impressions ?
En effet, Préventica
n’est pas une découverte
pour moi. D’une part,
il s’agit de sa seconde
visite à Lille. D’autre
part, le Congrès/Salon
se déplace dans toutes
les grandes villes françaises
et, à chaque fois,
des universitaires et des
formateurs régionaux
sont invités. C’est
à mon sens, l’un
des nombreux intérêts
de l’événement :
Préventica contribue
à la rencontre des
acteurs de la santé
au travail et à la
dynamique de création
de pôles d’excellence
visant à regrouper
et thématiser la formation
dans chaque métropole
régionale. A l’heure
où l’on parle
de plus en plus de prévention
et de santé au travail,
n’oublions pas que 50%
des formateurs partiront à
la retraite d’ici à
2015. Il faut réagir
maintenant et Préventica
offre l’opportunité
de regrouper en un lieu unique,
les universitaires comme moi,
les entreprises, les salariés
et leurs représentants
ainsi que les préventeurs.
Provoquer la rencontre des
acteurs de toutes les disciplines
et mutualiser les expertises,
observer l’évolution
de leurs outils, préfigurent
l’émergence d’un
nouveau visage de la santé
au travail. Préventica
est, plus que jamais, un des
maillons d’une transformation
attendue et nécessaire.
Les Services de Santé au Travail du Nord-Pas-de-Calais ont choisi Préventica pour annoncer leur regroupement sous une entité unique. Quel est votre sentiment sur le sujet ?
Lorsque Préventica
est venu à Lille en
2008, on évoquait déjà
l’intérêt
pour les Services de Santé
au Travail (SST) de se regrouper.
A la fois pour répondre
à la directive européenne
de 1989, au rapport IGAS de
2008 et pour s’adapter
à la nécessaire
pluridisciplinarité
qu’impose l’évolution
de la santé au travail.
Le regroupement des services
et des compétences
paraissait déjà
être le moyen le plus
efficient de faire face à
la diminution de la démographie
médicale et à
l’apparition de nouveaux
métiers. La création
du Pôle Santé
Grand Lille (l’un des
quatre régionaux et
second SST en France), installé
sur l’un des plus gros
bassins d’emploi français,
permettra assurément
de répondre plus efficacement
aux besoins nouveaux des entreprises.
Je suis ravi d’être
le témoin de cette
création qui, pour
moi, va dans le bon sens.
Le fait que ce regroupement
s’opère sur Préventica
est significatif : le
Salon est un trait d’union
entre les partenaires et les
entreprises et s’attache
depuis de nombreuses années
à mettre en lumière
le rôle de la médecine
du travail. Rôle qui,
rappelons-le, ne se résume
pas à la visite médicale
mais est le garant d’une
prévention efficace.
A ce sujet, vous venez de rendre un rapport contenant des recommandations dans le domaine de la santé au travail. Vous y annoncez notamment, alors que la prévention des risques en entreprises évolue rapidement et favorablement, que la médecine du travail est en danger. Pouvez-vous nous expliquer ?
Oui, je confirme, la médecine du travail est en danger suite à des décennies de mauvais calculs des politiques. Le numerus clausus universitaire montre aujourd’hui ses limites : il ne permet plus le renouvellement des médecins du travail dont le nombre devrait diminuer de 60% à l’horizon 2015-2018. Par ailleurs, la société comme les pouvoirs publics n’ont jamais vraiment su ce qu’ils attendaient de la médecine du travail : du coup, les jeunes n’ont pas de visibilité quand à la profession. L’urgence est aujourd’hui de fixer les priorités et les missions des SST (services santé-travail). Je pense aussi que la clé est de préciser le rôle des CMT (commissions médico-techniques) et de développer des spécialisations, par branches... Il est nécessaire que les entreprises développent, en interne, des pôles de santé travail avec un médecin «coordonnateur», des infirmières et assistants spécialisés, en lien avec les IPRP dans un véritable souci d’actions pluridisciplinaires. En parallèle, un plan santé travail, à l’image du plan national, doit voir le jour dans les entreprises comme en Région. Alors seulement, l’on pourra réaliser un suivi efficace et à long terme des expositions et penser la prévention dans sa globalité (on est encore souvent dans une approche individuelle du salarié).
Pensez-vous que Préventica ait un rôle à jouer dans l’émergence de cette nouvelle médecine du travail ?
Evidemment. Préventica a une vraie responsabilité dans la démarche de sensibilisation des entreprises. Plate-forme de rencontres et d’échanges, l’événement offre un temps de parole à tous les acteurs de la santé au travail et leur permet d’avancer des hypothèses quant à l’essence même de leur métier. C’est l’un des rares endroits ou les acteurs incontournables de la discipline se retrouvent pour débattre avec les salariés. Préventica ne se contente pas d’être un débat d’experts à huis clos mais s’ouvre aux entreprises et impulse une forte médiatisation des idées : je pense que c’est primordial pour évoluer.