Samuel CREVEL / Guy BARATHIEU - FONCTION PUBLIQUE : Responsabilité pénale de l’ensemble des acteurs de la prévention dans la Fonction Publique : regards croisés sur la question

Responsabilité pénale de l’ensemble des acteurs de la prévention dans la Fonction Publique : regards croisés sur la question

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01/06/2009
Samuel CREVEL / Guy BARATHIEU - FONCTION PUBLIQUE
Samuel CREVEL / Guy BARATHIEU
Magistrat / Universitaire (IPST-Institut de la Promotion Supérieur du Travail)
FONCTION PUBLIQUE

 

L’une des trois missions confiées par la loi du 17 juillet 2001 (art 31) au Fonds national de prévention de la CNRACL, élaborer des recommandations d’action en matière de prévention à l’intention des collectivités, est appelée à se développer dans les prochaines années.
Ses modalités de mise en œuvre passent par une information élargie et ciblée auprès des collectivités et établissements hospitaliers.
Le FNP a souhaité mettre à leur disposition un moyen pédagogique afin de les sensibiliser à l’esprit et aux principes du droit en matière de prévention, dès son premier programme d’actions.
Toutefois, bon nombre de points relatifs à la responsabilité pénale de l’ensemble des acteurs de la prévention, (autorité territoriale, directeur, ACMO, ACFI, médecin, membres du CHS…) demandent à être éclaircis.
La conférence organisée par le FNP dans le cadre du village Fonction Publique de Préventica Lyon : "Responsabilités pénales en raison de l’irrespect des règles d’hygiène et de sécurité" sera l’occasion d’aborder les différentes facettes de cette question. Elle sera co-animée par Samuel CREVEL, magistrat, et Guy BARATHIEU de l’IPST.

 

Deux approches complémentaires : comment caractériseriez-vous la logique du juge et celle du juriste ?

Guy BARATHIEU  : Le rôle de l’universitaire est de travailler sur la doctrine, étudier les lois et analyser la manière dont les juges les appliquent. Sa fonction pédagogique lui permet (en théorie), via l’enseignement qu’il dispense, d’influer sur l’application de la loi et la jurisprudence. L’universitaire intervient davantage en amont de la démarche alors que le juge sanctionne un manquement à la règle.
Samuel CREVEL : La logique du juge consiste généralement à donner aux textes prévoyant les infractions une juste application, entre efficacité et interprétation restrictive. Pour les infractions commises en matière d'hygiène et de sécurité dans les collectivités territoriales, il est à constater que le juge pénal a tendance à raisonner comme s'il avait affaire aux entreprises du secteur privé auxquelles il est beaucoup plus habitué. Mais ce raisonnement analogique n'est pas sans susciter quelques difficultés.

Fonctions publiques territoriale et hospitalière : deux mondes. Quels sont les points communs et les différences statutaires ?

Guy BARATHIEU  : Les règles du travail sont les mêmes qu’il s’agisse du secteur public ou des entreprises privées (Partie IV du Code du travail). Nous retrouvons des fonctions analogues. Ce sont les règles d’organisation qui diffèrent. Traditionnellement, la fonction publique hospitalière se rapproche du secteur privé ; son fonctionnement est proche d’une gestion d’entreprise. L’organisation de la santé au travail est régie par le code du travail en ce qui concerne la fonction publique hospitalière et par le Statut de la Fonction public pour les collectivités territoriales. On parle de CHSCT pour la première et de CHS pour la seconde ; pourtant les missions sont les mêmes.
Samuel CREVEL : Les règles d'hygiène et de sécurité substantiellement applicables aux agents de ces deux fonctions publiques, quels que soient leurs statuts ou leurs affiliations, sont les mêmes que celles qui, contenues dans le code du travail, ont cours dans le secteur privé.
En revanche, l'organisation des établissements relevant des deux fonctions publiques diffère en la matière. En bref, celle des établissements publics de santé est très proche de celle des entreprises ; l'organisation des collectivités territoriales est originale, basée sur le trio autorité territoriale / ACMO / ACFI. Les services de l'inspection du travail ont compétence pour les premiers mais pas pour les secondes.

Peut-on s’appuyer sur la jurisprudence pour apprécier la responsabilité pénale de l’auteur d’une infraction ? 

Guy BARATHIEU  : Oui nécessairement. La jurisprudence est significative de l’application du droit. Elle est éclairante quant à la façon dont on doit se comporter. Le travail de l’universitaire est ici intéressant. De par le résumé et l’analyse d’une situation donnée, il permet de donner un fil conducteur au préventeur.
Samuel CREVEL : Plus que pour d'autres aspects du droit pénal, et compte-tenu du laconisme des textes, il est essentiel de connaitre et de comprendre la jurisprudence pour savoir notamment à quel(s) acteur(s) des collectivités et établissements imputer les infractions constituées en matière d'hygiène et de sécurité.
Les poursuites et par voie de conséquence, les condamnations d'acteurs de la prévention des collectivités et établissements publics de santé, sont encore rares ; c'est heureux pour les intéressés, mais cela empêche de disposer de règles d'imputation bien établies.

Comment envisager une organisation santé sécurité ou un système, qui assure une répartition des responsabilités de manière juste ?

Guy BARATHIEU  : En matière pénale et au contraire du civil, la responsabilité ne se partage pas (mais un accident peut avoir plusieurs causes et donc plusieurs fautifs). L’important est de respecter le sens des textes sans s’enfermer dans un formalisme étroit. Un exemple : le décret d’hygiène sécurité de 1985 prévoit la mise en place d’un ACMO dans chaque collectivité, qu’elle emploie 500 ou 12 000 agents. On constate aisément que la situation n’est pas la même et doit être adaptée. Il serait peut-être pertinent de modifier également le titre d’ACMO, qui donne l’impression d’être responsable alors qu’il s’agit d’un conseiller et d’un animateur sécurité. L’arrêté définissant la fonction d’ACMO ne prend pas suffisamment en compte la spécificité des situations (de plus, c’est une fonction et non pas un emploi statutaire). Dans les fonctions publiques, la réglementation devrait être plus précise et demander la mise en place de solutions sur-mesure.
Samuel CREVEL : On constate qu'il existe, d'une collectivité à l'autre, des organisations très diverses en matière d'hygiène et de sécurité. Il est vrai que leur taille et leurs moyens varient à l'extrême.
Sans vouloir restreindre par trop cette liberté d'organisation, on peut au moins préconiser que les décideurs des collectivités et établissements publics soient tous sensibilisés à la prévention, qu'ils parviennent à la rédaction du document unique, veillent à la compétence de ceux qu'ils investissent de missions en matière d'hygiène et de sécurité et à leur donner les moyens adaptés.

Pensez-vous qu’il faut réserver la fonction d’ACMO (et l’équivalent chez les hospitaliers) à des spécialistes hautement qualifiés ?

Guy BARATHIEU  : Pas forcément. Mais il est sûr que la compétence et le statut des ACMO doivent être renforcés. Des ACMO de terrain, dotés de compétences techniques et relationnelles pointues, existent déjà dans les grosses collectivités mais ce sont rarement des professionnels à temps plein.
Samuel CREVEL : On observe déjà, dans nombre de collectivités, une forte tendance à développer les compétences en matière de prévention. Il est néanmoins à déplorer qu'il soit si difficile, en l'état des textes statutaires, de les valoriser par une majoration du traitement des intéressés.

Comment favoriser la prise de conscience par les décideurs de leur responsabilité ? La diffusion de recommandations constitue-t-elle un moyen ?

Guy BARATHIEU  : Il est primordial de donner des moyens professionnels aux différents intervenants. Par exemple, un maire qui fait appel à un inspecteur et prévient tous les services de son passage et de ses préconisations à valeur obligatoire donne à celui-ci un vrai pouvoir de contrôle, suivi d’effets. Il est donc nécessaire de renforcer la sensibilisation des élus sur les questions d’hygiène sécurité et de leur faire prendre conscience de l’impact sur la performance ou le taux d’absentéisme… A ce titre, des recommandations, relayées par un arrêté ministériel, existent déjà dans le privé (CRAM). Il serait bon de faire évoluer les choses pour que cela soit mis en place dans la fonction publique.
Samuel CREVEL : Compte-tenu de la petite taille de la grande majorité des collectivités territoriales, on ne peut raisonnablement leur imposer de se doter d'un ACMO qui soit "un spécialiste hautement qualifié" ; une telle qualification devrait en revanche caractériser l'ACFI et l'ACMO mis à la disposition par les centres de gestion. Mais rien n'empêche de former ces ACMO au mieux et de leur donner les possibilités de mener à bien leur importante mission de prévention.

L’une des missions du FNP porte sur l’élaboration de recommandations. Quelle valeur ou portée juridique pourrait avoir les recommandations émises par la CNRACL ?

Guy BARATHIEU  : Un tel texte n’est pas une obligation mais pourrait donner lieu à responsabilité dans le cadre de la jurisprudence. Rien n’empêche, par ailleurs, la CNRACL d’émettre des recommandations mais sa compétence n’est pas de réglementer. En outre, depuis la loi de décentralisation, les collectivités sont autonomes (même si elles dépendent du ministère de l’intérieur).
Samuel CREVEL : Actuellement, de telles recommandations n'auraient pas valeur normative. Elles pourraient néanmoins servir sinon de fondement du moins de référence pour le juge pénal en tant qu'elles expliciteraient les règles techniques à l'intention des décideurs, lesquels pourraient encore moins prétendre les ignorer.

M. CREVEL, pour la préparation de votre étude, vous avez rencontré des collectivités et établissements hospitaliers, pourriez vous résumer en quelques mots votre impression ?

Samuel CREVEL : Pour les besoins de l'étude, j'ai effectivement rencontré des directeurs de centres de gestion et des responsables d'établissements publics de santé.
Par ailleurs, voilà de nombreuses années que j'échange avec des agents et des élus des fonctions publiques territoriale et hospitalière, à l'occasion de formations ou de colloques, sur cette délicate question et que je m'enrichis de leur expérience et de leurs réflexions.

L'époque me semble plus que jamais à la mise en place de dispositifs efficaces de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles. Le FNP est devenu assurément, de par les moyens qu'il déploie pour accompagner les collectivités et établissements publics dans cette démarche, un acteur majeur en la matière.

 

Portaits

Guy BARATHIEU,
Universitaire (IPST - Institut de la Promotion Supérieur du Travail)

Professeur à l’IPST de Toulouse, il a développé à la demande du FNP, en 2003, un outil pédagogique intitulé "Droit applicable en matière d’hygiène et de sécurité dans la fonction publique hospitalière et territoriale". En ligne sur le site du FNP, en cours de réactualisation, cette étude se structure selon les trois chapitres suivants :
- La réglementation : les sources, le code du travail, les statuts de la Fonction Publique ;
- Les acteurs : dans les collectivités territoriales, les SDIS et les établissements publics de santé ;
- La responsabilité : pénale, professionnelle, administrative et civile.

Samuel CREVEL
Magistrat

Détaché au service des affaires juridiques du Ministère de l’Agriculture.
Chargé d’enseignement à la Faculté de Droit de Paris I.
Réalise actuellement à la demande du FNP, une étude juridique portant principalement sur la responsabilité pénale de l’employeur public en matière d’hygiène et sécurité du point de vue du juge (cartographie des responsabilités, guide de bonnes pratiques…).
Il conduit parallèlement une étude complémentaire sur la portée juridique des recommandations CNRACL.