Marc-Arthur DIAYE - CENTRE D’ANALYSE STRATEGIQUE : Les changements organisationnels ne sont pas toujours synonymes de risques psychosociaux

Les changements organisationnels ne sont pas toujours synonymes de risques psychosociaux

|| Risques Psychosociaux
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17/01/2013
Marc-Arthur DIAYE - CENTRE D’ANALYSE STRATEGIQUE
Marc-Arthur DIAYE
Conseiller scientifique au département Travail & Emploi
CENTRE D’ANALYSE STRATEGIQUE
Le Centre d’analyse stratégique s’est intéressé à la définition de variables scientifiques du risque psychosocial et à leur mesure. Marc-Arthur Diaye, conseiller scientifique au département Travail & Emploi du Centre d’analyse stratégique, en rapporte les enseignements.


Le risque psychosocial est fondamentalement impalpable, comment le mesurer scientifiquement ?
C’est l’objet de l’étude que j’ai menée en 2012 pour le Centre d’Analyse Stratégique. Cette étude basée sur des méthodes scientifiques avait pour finalité d’analyser le lien entre changements organisationnels au sein des entreprises et émergence de risques psychosociaux pour les salariés.
Par ailleurs, nous avons pu mettre en évidence une corrélation statistique entre risques psychosociaux et profils des salariés et des firmes.

Quelles sont alors les variables scientifiques du risque psychosocial ?
Nous sommes partis du travail élaboré par le comité Gollac qui a classé les risques psychosociaux en six dimensions : 

  • les exigences du travail, c’est à dire la quantité de travail, la pression temporelle, la complexité du travail et la difficulté de conciliation entre travail et hors travail
  • les exigences émotionnelles, qui mesurent la charge émotionnelle qui est évaluée dans la relation avec le public, l’empathie et le contact avec la souffrance, les tensions avec le public, l’obligation de cacher ses émotions et enfin la peur du travail
  • l‘autonomie et les marges de manœuvre, qui concernent l’autonomie procédurale, la prévisibilité du travail, l’utilisation et le développement des compétences et, enfin, la participation dans la prise des décisions
  • les rapports sociaux et relations au travail, qui couvrent tout ce qui a trait à l’interaction avec les collègues ou supérieurs hiérarchiques, la violence au travail, le leadership et la reconnaissance de l’effort accompli
  • les conflits de valeur, qui sont mesurés principalement par les conflits éthiques
  • l’insécurité de l’emploi, définie comme étant l’impuissance ressentie à préserver la continuité souhaitée dans une situation de menace sur l’emploi

Nous avons ensuite mesuré, pour un individu donné, dans un contexte de changement organisationnel, quelles sont les dimensions qui jouent le plus sur son risque psychosocial.

Vous parlez de changement organisationnel déclaré et perçu, quelle différence en termes de risque psychosocial ?
Elle est fondamentale. En effet, les changements organisationnels mis en œuvre par les entreprises ne sont pas tous perçus par les salariés. Ainsi lorsque 68% des entreprises déclarent avoir mis en place un changement organisationnel au cours de l’année écoulée, seulement 46% des salariés de ces mêmes entreprises ont perçu le changement.
Si l’on se place au niveau des changements organisationnels déclarés (par les entreprises), ces changements ne génèrent des risques psychosociaux qu’à court terme et uniquement sur la dimension  « Exigences du travail ».
Par contre, si l’on mesure les risques psychosociaux lorsque les changements organisationnels sont perçus par les salariés, l’augmentation est nette et concernent pratiquement toutes les dimensions.

En dehors des changements organisationnels, vous avez aussi mesuré l’effet de certains outils de gestion sur les risques psychosociaux ?
En effet, nous avons mesuré l’effet de la certification qualité, de la certification environnementale et de l’organisation en équipes de travail autonomes, notamment à travers le lean management. Les résultats sont encourageants puisqu’ils semblent indiquer que de manière générale, ces trois outils n’ont pas d’impact, voire diminuent les risques psychosociaux.

Retrouve-t-on des caractéristiques similaires chez les salariés les plus sensibles aux risques psychosociaux ainsi qu’au niveau des entreprises concernées ?
C’est l’un des enseignements de cette étude. On retrouve des caractéristiques communes chez les salariés les plus affectés par les risques psychosociaux : plutôt des hommes, de moins de 50 ans, travaillant dans  des entreprises de 250 à 500 salariés, issues du secteur du transport. Ce constat est à nuancer si l’on fait une analyse par dimension. Par exemple les femmes ont un risque psychosocial plus important que les hommes, dans les dimensions « Conflits de valeur »  et « Rapports sociaux et relations au travail ».

Quelles recommandations pratiques formulez-vous en conclusion de cette étude ?
Un constat tout d’abord : il n’existe pas aujourd’hui d’évaluation fiable, actualisée des coûts économiques et sociaux des risques psychosociaux. Certes ce n’est pas la dimension la plus importante pour un phénomène qui touche à la relation entre l’homme et le travail mais ce serait une base objective de dimensionnement qui pourrait également permettre de mesurer son évolution dans le temps.

Nos recommandations portent ensuite sur deux axes :

  • Activer un réseau de surveillance sur les bonnes pratiques au niveau des branches professionnelles, ce qui permettrait aux pouvoirs publics d’avoir une remontée des informations et de pouvoir mettre en place des actions adaptées.
  • Rédiger un livret de bonnes pratiques proposant des accords-types et une introduction à la gestion des risques psychosociaux. Ce livret serait un outil d’accompagnement utile pour les employeurs et les instances représentatives du personnel qui se trouvent souvent démunis face à l’émergence de risques psychosociaux.

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