Luc BAILLET - RésoA+ : 2043 est un horizon acceptable pour une éradication totale de l’amiante en France

2043 est un horizon acceptable pour une éradication totale de l’amiante en France

|| Santé au travail
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25/04/2013
Luc BAILLET - RésoA+
Luc BAILLET
Architecte, co fondateur
RésoA+
Créée en 1999, L’association "Réso A+", réseau des acteurs civils et professionnels du bâtiment de haute sécurité sanitaire et environnementale, a pour vocation de regrouper les acteurs du BTP autour de la question de la remédiation amiante. Luc Baillet, architecte expert amiante, nous présente les enjeux liés à l’évolution de la réglementation et des positions européennes sur ce thème.

Comment avez-vous commencé à vous intéresser à la question de l’amiante dans les bâtiments ?
Très tôt dans ma carrière d’architecte, je me suis spécialisé dans les pathologies du bâtiment. Dans des logiques de mise en conformité et de réhabilitation, il fallait donc que j’analyse la structure du bâtiment pour décider s’il fallait réparer, remédier ou isoler ce qui constituait un handicap. Au début des années 90, malgré les alertes des années 70, les dangers de l’amiante n’étaient absolument pas intégrés à leur juste valeur : on prescrivait encore des matériaux et des produits amiantins partout, sans se soucier des conséquences.
C’est en février 1996 que sont parus les premiers décrets de la Nouvelle Réglementation sur l’amiante et que s’est révélée la nécessité de procéder au désamiantage d’un nombre incalculable de bâtiments.
Je me suis dès lors étroitement impliqué dans les instances professionnelles, normatives* et réglementaires, pour tenter de donner un cadre clair et précis à ces opérations, avec l’appui et le soutien de mon ordre professionnel**.

Aujourd’hui, la protection des salariés en contact avec l’amiante est clairement définie et les opérations bien encadrées. Comment envisagez-vous le rôle de votre association, résoa+, dans ce contexte ?
Notre association a toute sa raison d’être. En effet il reste de nombreuses zones d’ombre dans la réglementation du désamiantage, notamment du fait des multiples réglementations auxquelles cela touche. Nous militons pour que les maîtres d’œuvre en démolition et réhabilitation de bâtiments anciens soient formés à l’expertise amiante. En effet, lorsque l’on touche à un bâtiment contenant de l’amiante, il va falloir prendre des décisions par rapport aux zones contaminées : doit-on encapsuler, doit-on enlever ? Seul un maître d’œuvre clairement positionné et formé est apte à arbitrer. Les architectes, de par leur formation et leur expérience, seraient parfaitement habilités pour endosser ce rôle. De leur côté, les entrepreneurs devraient poursuivre leur effort de formation engagé en 2012.
Mais nous nous attachons également à exiger la mise en œuvre d’une formation des maîtres d’ouvrage privés et publics, ainsi qu’une information claire des occupants et usagers.

Est-il possible d’envisager un jour que toute trace d’amiante soit éradiquée des bâtiments existants ?
Difficilement et en tout cas pas à court terme. Le diagnostic du patrimoine est d’une ampleur considérable, pour deux raisons. La première est la conséquence de l’existence de nombreux diagnostics incomplets, voire erronés. L’absence de schémas de repérage efficients est la cause la plus récurrente de l’obligation de reprendre les diagnostics existants. La seconde est l’obligation des propriétaires de tenir à jour leur Dossier Technique Amiante à l’occasion de la vente, ainsi qu’avant tous travaux et au plus tard avant février 2021. A cette occasion, ils découvrent au fur et à mesure, des produits amiantins non repérés lors des inspections antérieures.
Par ailleurs,  les moyens manquent pour envisager sereinement des opérations de désamiantage correctement conduites. Seules les actions de curage intégral permettraient de considérer un immeuble « asbestos free ».
Si l’on prend les bailleurs sociaux par exemple, le parc de logements à désamianter est tel qu’il faut se poser les bonnes questions avant d’envisager le désamiantage. Nous avons un manque cruel d’informations objectives sur le sujet amiante en France et notamment sur les produits contenant de l’amiante qui ont pu être utilisés, d’où la nécessité de constituer un groupe d’experts indépendants pour travailler sur ce sujet.
En termes d’échéances, une directive européenne est en cours d’élaboration afin d’harmoniser les opérations d’éradication de l’amiante sur l’ensemble des pays de l’Union, pour 2028.
De notre côté, nous estimons qu’en France la seconde vague réglementaire pourrait être harmonisée en 3 ans, d’ici fin 2015, sous réserve de voir édicter une grande loi cadre sur l’amiante, abordant la question financière, notamment en instaurant un dispositif de bonification de la présence d’amiante.
Pour l’éradication de l’amiante des immeubles bâtis en France, il semble plus raisonnable de prévoir 30 ans, donc rendez-vous en 2043.
Quant aux déchets amiantifères, en extrapolant les données de l’ADEME, il faudra attendre 300 ans avant que l’amiante ait totalement disparu des décharges mais aussi des terrains naturels.

 

*Luc Baillet a participé à la commission AFNOR X46D entre 2000 et 2010, et notamment à la rédaction des normes sur les diagnostics amiante (NFX 46-020, 021 et 023).
**En 1998, le conseil de l’ordre des architectes, avec l’appui de la Région Nord Pas de Calais, organisait le premier Colloque Régional sur l’Amiante.