Suffit-il de former aux RPS et à leur prévention ? L’exemple de la professionnalisation de l’encadrement

ORGANISATION DE LA PREVENTION || Management SST
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25/01/2012
Mardi 31 janvier de 16h00 à 17h00 - Conférence organisée dans le cadre de Préventica Bordeaux 2012

 

La prise en compte assez massive de la question des risques psychosociaux par les organisations publiques et privées, marque incontestablement une avancée dans la promotion de la santé au travail. Sur ce plan, le signal (contesté par certain mais certainement significatif) semble bien avoir été le lancement, par Xavier Darcos alors Ministre du travail, en octobre 2009, du « plan d’urgence face au stress au travail », dont son successeur Xavier Bertrand a dressé un bilan d’étape en avril 2011.

Les entreprises d’abord, la fonction publique, rapidement ensuite, semblent avoir dans l’ensemble mesuré l’importance du problème et compris que leur responsabilité en matière de préservation de la santé physique et mentale des salariés était plus souvent évoquée, que la jurisprudence évoluait et qu’il était attendu plus d’implication des employeurs privés et publics dans ce domaine.

En même temps, les institutions ou les acteurs publics ont rapidement produit des aides permettant de guider cette démarche complexe, qui consiste à mettre en œuvre une démarche sensible, multiforme, structurée dans l’ambition et le temps. C’est ainsi que la Direction générale du travail (DGT), la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), l’INRS, mais aussi les travaux et publications de l’ANACT, les divers rapports ministériels sur le sujet, définissent un nouvel « état de l’art en matière de bien-être au travail et de prévention des risques psychosociaux ».

Au regard de cette approche globale de la qualité du travail et de la qualité de vie au travail, le projet collectif de développement des compétences en matière de prévention des RPS joue un rôle déterminant : nous l’appelons « professionnalisation ». Dans ce contexte, nous formulons l’hypothèse que la professionnalisation de l’encadrement (comme processus et comme groupe professionnel) joue un rôle central.
En effet, il est attendu dans les processus d’encadrement (supérieur comme de proximité) le développement d’une meilleure compréhension des contextes ainsi qu’une vigilance plus grande sur les situations de souffrance des personnes de leurs équipes. Souvent, les démarches de formation ont également pour ambition de sensibiliser les cadres à l’identification des personnes en difficultés, déterminer les indicateurs de signaux d’alerte, préciser les procédures à intégrer… Par ailleurs, la plupart du temps les projets de formation s’effectuent en une fois de 2 à 0,5 journée. Enfin, il arrive qu’aucun responsable hiérarchique ou représentant des ressources humaines ne vienne présenter aux stagiaires les objectifs, ni l’état des réponses mises en œuvre ou les attentes de l’organisation. La formation est d’ailleurs dispensée dans la plupart des cas par des spécialistes de la formation plutôt que par des spécialistes de la santé sécurité au travail et de la prévention des risques psychosociaux.

Toute l’expérience de la prévention invite pourtant à se méfier des formes simplifiées et standardisées, surtout sur un sujet aussi difficile. Il est évidemment peu probable que la formation des cadres développées sur un mode si superficiel génère sur le long terme les effets escomptés. La prise en compte réelle et durable des risques psychosociaux dans l’organisation ne peut que générer un questionnement sur l’organisation, ses attentes et ses finalités.
La professionnalisation de l’encadrement sur le sujet demande que les directions (au plus haut niveau) s’impliquent – durablement - dans la recherche de solutions construites collectivement et acceptent le défi d’assumer les contradictions qu’elle fait peser sur ses cadres soumis aux fortes prescriptions descendantes (de l’encadrement supérieur) et remontantes (des salariés, agents...).
Sans cela, comment chaque encadrant peut-il s’acquitter des responsabilités nouvelles qu’on lui transfère de fait à travers la démarche de formation ? Comment peut-il être acteur conscient et actif d’un processus collégial dont il ignore les modalités ? Comment peut-il se convaincre et prendre en considération le message préventif s’il n’a pas le sentiment que sa direction est effectivement engagée à ses côtés dans ce processus complexe ? Comment va-t-il résoudre les contradictions, voire les injonctions paradoxales que la formation ne manquera pas de produire ?
Le processus de professionnalisation des cadres affichera des objectifs ambitieux quand les contradictions qu’il génère inévitablement dans les échanges de pratique seront intégrées et portées par l’organisation toute entière. Faire porter la prévention seulement sur quelques personnes, même encadrantes, c’est limiter la portée du message préventif.
Des décentrements sont donc nécessaires en plaçant les parties prenantes (équipes de direction, services RH, services formation) au cœur des problématiques du travail réel et en faisant de la santé et de la sécurité au travail (SST) un véritable enjeu de gouvernance qui favorise le développement de nouveaux espaces partagés de professionnalité (en particulier au sein des CHSCT).

Pour se faire, des reconfigurations culturelles sont à opérer en termes de travail, de formation et d’apprentissage, il s’agit de quitter le registre de la tension souffrance/plaisir au travail pour celle de bien-être au travail et de la promotion de la SST et de passer de la « culture » de l’approche par le risque professionnel à la socio production et à la socio construction du travail et de la SST dans et par le travail. Dans cette perspective, l’encadrement ne sera plus « stigmatisé » sur sa responsabilisation pénale mais sollicité en termes de « contribution responsable » sociale, économique et environnementale. Enfin, la peur de l’autre (psycho) et du collectif (social) sera supplantée par l’organisation de controverses sur les métiers (passant ainsi des jeux de conflits stériles aux défis de conflictualités apprenantes).

En termes d’actions concrètes, plusieurs ruptures s’offrent également aux parties prenantes. La première consiste à intégrer la SST dans les processus décisionnels de l’encadrement au plus haut niveau. La seconde demande de repenser les processus d’apprentissage et de construction des compétences, d’une part, en se plaçant dans des logiques d’action-formation-recherche et d’analyses de pratiques et, d’autre part, en concevant des formations pluridisciplinaires (encadrants, préventeurs, représentants du personnel), distribuées dans le temps (½ journées), intégratives (prenant en compte le réel du travail des acteurs et de leurs rôles).
Nous considérons donc qu’aujourd’hui il ne s’agit plus de former l’encadrement par la sensibilisation à la prévention des risques psychosociaux. A l’instar de la démarche d’évaluation des risques, nous faisons l’hypothèse conclusive que seules les approches globales du travail, des situations de travail et d’apprentissage permettront de repenser les conditions et les processus de construction et de développement des compétences individuelles et collectives en matière de SST ; nouvelle voie de la professionnalisation des acteurs, des activités, des organisations et des territoires.

Sources :

  • Yves Grasset

Violences Travail Environnement (VTE)
http://www.vte.fr/

  • Max Masse

Institut national du travail de l’emploi, et de la formation professionnelle
Mission santé et sécurité au travail dans les fonctions publiques
http://www.intefp-sstfp.travail.gouv.fr/