Conduites addictives Tour d'horizon des bonnes pratiques

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14/11/2011
Le Fonds national de prévention soutient activement collectivités, établissements de santé et SDIS dans leurs démarches de prévention des addictions

 

Le Fonds national de prévention soutient activement collectivités, établissements de santé et SDIS dans leurs démarches de prévention des addictions. Les quelques initiatives présentées ici permettent d’apprécier la diversité des actions menées, notamment face aux conséquences liées à l'alcoolisation sur le lieu de travail et aux consommations à risques.

 

« En matière de prévention des consommations à risques, je pense qu'il est important d'aborder le sujet de façon globale en travaillant conjointement avec l’ensemble des acteurs, tout en veillant à éviter la stigmatisation », explique Arnaud Devin, chef de pôle adjoint chargé de l'hygiène, de la sécurité, de l’environnement et des conditions de travail au service départemental d'incendie et de secours du Nord.

Dès 2004, le SDIS 59 (environ 6 500 agents : 4000 SPV, 2000 SPP et 500 personnels administratifs techniques spécialisés) a entamé une première démarche initiée par son service de santé et de secours médical (SSSM). Mais les actions de prévention et de sensibilisation menées à cette époque n'ont pas donné entière satisfaction : « elles étaient réalisées par le SSSM qui est également chargé d'effectuer les visites médicales annuelles d'aptitude des sapeurs-pompiers. Ce double rôle a certainement freiné l'adhésion des pompiers qui se sont montrés réticents à aborder leurs difficultés éventuelles avec les substances psychoactives, au risque de se voir interdits d'interventions ou déclarés inaptes aux fonctions de sapeurs-pompiers», se souvient Arnaud Devin.

Aussi, en 2007, le SDIS 59 met en place un partenariat avec une antenne locale de l'Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie (ANPAA) afin de réaliser un plan de sensibilisation de l'ensemble du personnel.
Bilan : 23 réunions d'information organisées en 2007 et en 2008, auxquelles s'ajoutent la diffusion de notes internes, d'affiches et la rédaction d'articles dans le journal interne.

Le travail se poursuit l'année suivante avec l'élaboration d'un plan de prévention sur les addictions.
« Dans le prolongement de la réalisation du document unique d'évaluation des risques professionnels, les instances du SDIS 59 ont souhaité développer une démarche et des outils sur le thème de la prévention des consommations à risques. Aujourd'hui, les membres du CHS ont bénéficié d’une formation sur les risques liés à l’addiction aux substances psycho actives, en particulier sur le lieu de travail et nous avons procédé à la refonte de notre règlement intérieur qui inclut un protocole de conduites à tenir », témoigne Arnaud Devin. Conçu à la fois comme un document d’information, d’action et de prévention, celui-ci est devenu la référence interne pour prévenir et traiter les situations à risques provoquées par la consommation aiguë ou chronique d’alcool, de drogues ou de médicaments. Ce règlement intérieur a été élaboré par un groupe de travail paritaire composé de membres du CHS (représentants du personnel et de la direction) et du Comité Consultatif Départemental des Sapeurs-Pompiers Volontaires (CCDSPV), de personnels des centres de secours et il a fait l’objet d’un examen attentif de la part des services juridiques. Celui-ci a finalement été présenté aux différentes instances consultatives et décisionnelles du SDIS (CHS, CTP, conseil d’administration). La formation au protocole à tenir de l’ensemble de l’encadrement du SDIS est programmée en 2012.

Le SDIS a par ailleurs remis à chaque agent un livret individuel consacré à la prévention des consommations à risques. Au sommaire de ce livret d’informations, on trouve des définitions de l'alcoolémie, de l’addiction ; des chiffres, les effets sur l’organisme des substances psychoactives, la réglementation et enfin un quizz.
Enfin, une affiche de sensibilisation au risque alcool et des éthylotests ont été remis dans les différents sites du SDIS du Nord.

 

Gérer les situations à risques

Comme le SDIS 59, la commune de Rive-de-Gier (Loire, 15 000 habitants, 300 agents) a fait le choix de la participation pour élaborer et mettre en œuvre des actions en faveur de la prévention des conduites addictives. « Le CHS a demandé la mise en place d'un groupe de pilotage chargé des questions liées aux addictions », explique Djamal Benzeghiba agent chargé de la mise en œuvre des actions de prévention (ACMO). Ce groupe, composé d’un élu en charge du personnel, d’un représentant de chaque syndicat, de l’ACMO, du médecin du travail, de l’ACFI et des chefs de service concernés, a élaboré un règlement intérieur relatif à la consommation d’alcool sur le lieu de travail. Par ailleurs, ce ‘groupe addiction’ décide également de formations ou sensibilisation et prévention à mettre en place avec l'appui d'associations spécialisées. Le groupe a également défini un protocole d'intervention en cas de situation de crise.

Présenté sous forme de fiches pratiques, le protocole identifie les différentes décisions à prendre et les démarches à effectuer en fonction de l'état d'un agent alcoolisé :

- Observation et analyse de la situation (état d’excitation, agitation agressivité, équilibre, somnolence…),

- Évaluation du danger pour l'agent et son entourage,

- Protection de l'agent (dialogue, isolement éventuel, sécurisation du périmètre de crise…),

- Cessation de la situation de danger (retrait de l'agent de son poste),

- Information de la hiérarchie,

- Intervention médicale, si nécessaire (médecins locaux, médecin du travail, pompiers, SAMU),

- Organisation du départ de l'agent de son lieu de travail,

- Traçabilité de l'événement,

- Évaluation post-crise.

 

En plus de la gestion des situations de crise, le ‘groupe addiction’ a élaboré un document spécifique sur la gestion des pots et des manifestations de convivialité organisées par un agent. Pour Djamal Benzeghiba, l'enjeu consiste à trouver le bon équilibre entre le maintien d'une forme de convivialité sur le lieu de travail et une bonne gestion des risques, « Heureusement, les mentalités évoluent et tous les pots se font sans alcools forts. Seuls les cocktails légèrement alcoolisés et les boissons non alcoolisées sont autorisés. Par ailleurs, par mesure de prévention, des éthylotests sont mis à disposition des agents. »

 

Prévention, orientation et accompagnement

La mairie de Mantes-la-Ville (Yvelines, 19 000 habitants, 420 agents) a, elle aussi, mis en place un groupe de travail ‘alcool’. Véritable relais d’information et de sensibilisation entre les opérationnels et les décisionnels de la collectivité, sa principale mission consiste à veiller à la bonne organisation et à la gestion des actions de terrain proposées au sein de la collectivité en matière de prévention des conduites addictives. « Dans le cadre de ses obligations légales en matière de prévention, de sécurité et de santé des agents, la ville s'est notamment dotée d'un règlement alcool » précise André Lutman, agent chargé de la mise en œuvre des actions de prévention (ACMO). La collectivité a également édité, en 2011, un guide pratique sur la prévention des addictions. Objectifs : informer l'ensemble des agents sur les risques liés aux addictions dans les situations de travail et dans la conduite des véhicules, mais aussi prévenir plus précocement ces risques. Des réunions de sensibilisation du personnel ont également eu lieu. Plus de 300 agents y ont déjà participé et des formations réalisées par un addictologue ont été dispensées auprès du personnel d'encadrement et de ‘relais alcool’ auprès du personnel. « Nous avons également fait appel à un prestataire pour identifier les structures locales spécialisées dans la prise en charge des situations d'addiction. Cette étape permet à la collectivité de mieux identifier les partenaires extérieurs, de faciliter l'orientation des agents vers une prise en charge adaptée, de mieux gérer les risques de rechutes et de préparer l’agent à son retour au travail », ajoute André Lutman.

 

La prévention à l'hôpital

Les établissements hospitaliers mènent également des initiatives dans le domaine de la prévention des addictions. Là encore, le choix d'une démarche projet associant largement le personnel a été privilégié. C'est le cas, par exemple, du centre hospitalier de Berck (Pas-de-Calais, 340 agents). « Notre démarche de prévention des addictions s’inscrit dans le cadre du Programme annuel de prévention des risques professionnels et d'amélioration des conditions de travail (PAPRIPACT) », explique Brigitte Martel, directrice de l'hôpital maritime. Un plan d’action a été défini avec l’ANPAA 62 en juin 2009 qui repose sur trois leviers : la sensibilisation (information, formation…), la réglementation (élaboration d'un protocole de conduite à tenir face à un agent alcoolisé et modification du règlement intérieur) et l'aide avec la mise en place d’un groupe relais, avec des référents addiction et un accompagnement des agents après leur retour au travail.
Pour Brigitte Martel, la démarche entreprise depuis 2007 a permis de faire évoluer les mentalités : « même si l'alcool au travail reste encore un sujet tabou sur lequel il est difficile de lever le voile, on peut désormais l'aborder autrement que sous l'angle disciplinaire ».

Un constat partagé par Michel Thiriet, directeur du Centre hospitalier Gérard Marchant (1 880 agents) implanté à Toulouse : « la consommation d'alcool dans un lieu dédié aux soins est déjà un sujet difficile à aborder. Ça l'est d'autant plus dans un établissement psychiatrique où le personnel est en charge d'un public souvent confronté à l'addiction. La notion de culpabilité est davantage présente chez les agents concernés ». Depuis plusieurs années, le centre hospitalier décline un ensemble de mesures élaborées dans le cadre d'un plan d'action sur la prévention des conduites addictives.

La formation du personnel encadrant et du CHSCT constitue une des étapes clés du plan. 70 cadres par groupe de 15 à raison de 5 jours/groupe ont reçu un matériel théorique et pratique complet leur permettant de :
- développer des connaissances et porter un autre regard sur le risque alcool, la personne alcool dépendante, l’alcool au travail, la loi,
- évaluer et limiter les facteurs de risques d’alcoolisation dans leur service,
- développer et utiliser un dispositif collaboratif d’action et de soutien face à une situation d’alcoolisation aiguë ou chronique au poste de travail,
- conduire un entretien et une relation professionnelle suivie dans le cadre du dispositif de soutien,
- orienter une personne en difficulté avec l’alcool vers la médecine du travail.

« Si les situations à problèmes sont désormais mieux régulées grâce aux différentes actions que nous avons mises en place, la nouvelle gouvernance de l'hôpital nous oblige à démultiplier nos efforts en la matière. Pour réussir, Il faut que les démarches de prévention soient véritablement intégrées par les agents au niveau des services et de pôles », estime Michel Thiriet.

 

Principales étapes de la démarche

  1. Prédiagnostic

Cette étape permet de réaliser un état des lieux, de repérer les pistes d’amélioration et de les tester.

  1. Diagnostic

Cette étape en appui sur les résultats de la précédente conduit à l’élaboration du plan d’action.

  1. Formation action de l’encadrement (cadres de proximité et cadres).
  2. Mise en œuvre des autres actions (groupes relais notamment).
  3. Évaluation.

 

 

Addiction et réglementation - Guy BARATHIEU, juriste

« Pour assurer la sécurité au travail au sein d'une collectivité ou d'un établissement, les mesures à prendre relèvent non seulement du règlement intérieur et des consignes dans le respect des libertés individuelles et collectives, mais aussi d’un dispositif de prévention basé sur l’information, la sensibilisation et la pédagogie », précise Guy Barathieu, maître de conférences de droit à l'Institut de la Promotion Supérieure du Travail de Toulouse (IPST-Cnam). « Si la réglementation de base relève du Code du travail, on assiste aujourd'hui, dans les jugements des tribunaux sur les affaires liées à l’alcool, à un élargissement du champ de la responsabilité », estime le juriste.
Il s'agit non seulement de la responsabilité pénale du chef d’établissement ou du chef de service, de l’établissement ou de la collectivité en tant que personne morale et de celle des agents, le cas échéant, mais aussi de la responsabilité administrative du service marquée par l’obligation de résultat et aux conséquences financières qui peuvent être très lourdes  pour ne pas avoir pris les mesures de prévention nécessaires et adaptées. Devant un accident de service ayant pour origine un état d’ivresse manifeste ou une conduite addictive connue par ses effets, l'appréciation de la responsabilité pénale de l’entourage peut être relevée pour « non-assistance à personne en danger » et celle de l’encadrement et des organisateurs pour imprudence, négligence ou inobservation des règlements : ici le « défaut de diligences normales » est apprécié par le tribunal sur la base de critères relatifs à l’autorité qu’avait et n’a pas exercée la personne en cause, à sa compétence, aux moyens disponibles et à la nature de la mission à remplir en tenant compte de ses difficultés éventuelles.

En pratique, ce qui est plus particulièrement regardé par le juge dans la recherche des manquements éventuels va porter principalement sur :
- L'organisation du travail et des activités en lien avec le service prenant en compte ou non les exigences de la prévention, de la santé et de la sécurité,
- L'évaluation des risques au travail et en lien avec le travail,
- Le plan des actions de prévention correspondantes,
- Le respect des réglementations de sécurité applicables,
- La définition des tâches, procédures et consignes,
- L’information et la formation à la sécurité des agents,
- Le suivi et le contrôle de l’application effective des mesures de prévention par les organisateurs et l’encadrement.

Pour Guy Barathieu, l’intérêt croissant porté à la mise en œuvre des mesures préventives, mais aussi la crainte de sanctions pénales et le coût croissant de la réparation, ont fait évoluer les comportements au travail face aux risques. On le voit, par exemple en matière de prévention du risque alcool au travail, avec le développement d’actions qui ne se limitent pas à l’édiction de règlements intérieurs mais qui sont de plus en plus souvent déclinés sous forme de chartes concertées recherchant par là l’efficacité plus par l’adhésion à un dispositif que par la contrainte ; les manifestions de convivialité dans le cadre professionnel intègrent ainsi la prévention dans l’organisation : nature et quantité des boissons, suivi du déroulement de l’activité, transports et moyens d'accompagnement en cas de besoin… .

 

Bertrand Fauquenot, chargé de formation externe à l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA).

CNRACL - Quel est le rôle de l'ANPAA ?
Bertrand Fauquenot - Notre association couvre l'ensemble des addictions : alcool, tabac, drogues illicites et médicaments psychotropes, pratiques de jeu excessives et autres addictions sans produit. Les missions de l'ANPAA s'inscrivent dans un continuum allant de la prévention et de l'intervention précoce à la réduction des risques, aux soins et à l'accompagnement. Pour assurer ses différentes missions, l'association dispose d'un important maillage territorial avec plus de nombreuses équipes de prévention et 78 CSAPA (Centres de Soins d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie). En matière de Prévention des Risques Professionnels, l'association assure des missions de sensibilisation, de formation, de conseil et d'accompagnement auprès d'entreprises, de collectivités ou de centres hospitaliers.

CNRACL - Avez-vous perçu des évolutions sur la prise en compte des phénomènes d'addiction dans le milieu professionnel ?
B.F. - Il y a quelques années, nous étions essentiellement sollicités par les médecins de prévention ou les CHS pour organiser des interventions et des actions de prévention au sein des collectivités ou des établissements hospitaliers. Aujourd'hui, les responsables du personnel - DRH et DGS - font davantage appel à nos services. Cette évolution s'explique par une meilleure prise en compte des conduites addictives sur le lieu de travail et par le renforcement des obligations des employeurs dans le domaine de la prévention des risques professionnels. À cet égard, la question de la responsabilité de l'employeur est devenue une réelle préoccupation. On commence à voir apparaître une culture "sécurité" autour de ces questions avec l'apparition de règlements intérieurs, de plans de prévention propres à ce risque, de protocoles d'accompagnement des personnes alcoolisées et l'intégration de la consommation de produits psychotropes illicites parmi les actions de prévention des addictions. Mais cette évolution s'accompagne parfois d'une approche plus "sécuritaire", avec une demande fréquente d'outils de dépistage, notamment pour l'alcool.

CNRACL - Comment aborder la question de l'alcool sur le lieu de travail ?
B.F. - Lors de nos interventions, nous revenons d'abord sur les représentations décalées des agents par rapport à la dangerosité des produits et par rapport aux modes de consommation. En matière de prévention, un des enjeux essentiels consiste aussi à ne pas se focaliser sur les consommateurs à problème et à bien appréhender le contexte local. À travers nos actions, nous cherchons à nous adresser à l'ensemble du personnel. Pour l'encadrement, nous insistons sur la nécessité du dialogue de la part du management en mettant davantage en valeur son rôle en matière de protection de la santé au travail et de garant de la sécurité des personnels, même s’il ne faut pas occulter le pouvoir disciplinaire et les sanctions qui peuvent s'appliquer.

 

Le site de l'ANPAA
http://www.anpaa.asso.fr/

Contact :
bfauquenot@anpaa.asso.fr

Les étapes essentielles d’une démarche de prévention des conduites addictives