Pas de dépistage généralisé

MANAGEMENT RH / QVT || Addictions
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08/06/2011
La consommation d'alcool, de médicaments, de cannabis et autres drogues illicites, est un phénomène inquiétant pour les entreprises


La consommation d'alcool, de médicaments, de cannabis et autres drogues illicites, est un phénomène inquiétant pour les entreprises. De telles addictions, en forte croissance, mettent en danger la santé et la sécurité des salariés ; les décideurs et les pouvoirs publics sont inquiets. Ainsi, le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé, à la demande de la Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie (MILDT), vient de publier un avis sur dépistage des drogues licites et illicites sur le lieu de travail.
Le CCNE souhaite un dépistage régulier, pour les salariés occupant des postes « de sûreté », de sécurité ou à haut risque (pour lesquels une défaillance humaine peut avoir des conséquences graves). En revanche, il n’est pas favorable à un dépistage systématique pour tous les travailleurs, démarche qui irait à l’encontre du respect de la liberté des individus.

Les acteurs de la santé au travail s’accordent à souligner la place prépondérante de l’alcool (drogue licite) et de l’alcoolisme chronique dans les comportements toxicomanes en milieu professionnel. C'est d’ailleurs sur la consommation d'alcool que l'on a le plus de données disponibles (concernant les autres produits, illicites, un certain tabou social entoure encore le sujet et explique des données plus que parcellaires).

Si la consommation d’alcool a beaucoup diminué dans notre pays au cours des trente dernières années, l’on comptabilise néanmoins 10 millions de consommateurs réguliers : cinq millions de personnes ont des problèmes médicaux, psychologiques ou sociaux liés à la consommation abusive d'alcool, deux millions sont considérés comme dépendants et un million consulte médicalement pour ces problèmes. L'alcool serait impliqué dans 10 à 20 % des accidents de travail déclarés.
Concernant les autres drogues, le CCNE (à la suite de nombreux entretiens dans les entreprises) semble penser que la consommation de produits illicites chez les jeunes et notamment le cannabis monte en puissance et que les produits consommés se diversifient. En revanche, la fréquence des prises chute lors de l’installation dans une activité professionnelle stable.
Enfin, la pharmacodépendance n’est pas à prendre à la légère : la prescription de médicaments psychoactifs est fréquente en France et peut également altérer les capacités du salarié. En outre, des études récentes montrent que nombreux consommateurs réguliers de médicaments psychotropes sont aussi consommateurs d’alcool ou de cannabis : la combinaison s’avère extrêmement dangereuse.

Le CCNE s’est déjà exprimé sur le sujet des addictions à plusieurs reprises : en 1989, 1994 et 2003. Elle réitère aujourd’hui les principes énoncés dans ses avis précédents. Elle reconnaît notamment la spécificité des missions du médecin du travail dans son appréciation de l'aptitude à tel emploi déterminé des salariés et la nécessité d’un respect total du secret médical comme du secret professionnel (même vis-à-vis du chef d'entreprise). Elle réaffirme également l’intérêt d’un dépistage systématique dans certains postes lorsque l’usage de substances illicites fait courir des risques au consommateur et à ses collègues. Elle rappelle l’importance pour les médecins du travail de véritablement s’impliquer dans les problèmes de prévention et gestion du risque tout en préservant leur autonomie.

Le contexte actuel nécessite néanmoins un complément de réflexion : la société a pris conscience des dangers de la consommation d’alcool, de drogues illicites et de médicaments psychotropes pour soi-même et pour les autres (progression de la notion de responsabilité vis-à-vis d'autrui et de l’obligation de ne pas lui nuire), le contexte juridique et concurrentiel dans lequel travaillent les entreprises a évolué. Ce changement de mentalité explique que les salariés ont accepté sans sourcilier l’intervention des pouvoirs publics et la mise en œuvre de dispositions contraignantes (que l’on aurait jugées, il y a un demi-siècle encore, comme gravement attentatoires aux libertés individuelles).
Par ailleurs, le chef d'entreprise doit veiller à ce que le salarié ne se mette pas en danger, ni ne fasse courir de risque à un tiers, du fait de son comportement. Ce paramètre justifie la mise en place d’une politique de prévention et de contrôle de l'usage de l'alcool, de stupéfiants et de médicaments au travail.

Ainsi, le Comité considère que la réflexion doit être étendue à toutes les formes de travail et à l’ensemble du monde professionnel (entreprises de toutes tailles, secteur agricole, artisanat, fonction publique…) et s’accompagner d’une prise en compte des paramètres socioculturels (les habitudes liées à l’alcool, etc.), des valeurs sociales (être plus performant, se transcender, etc.), de la vulnérabilité et de la résistance au stress… La première erreur serait de mener une politique de lutte très interventionniste dans l’entreprise sans avoir tenté d’analyser toutes les composantes de l’addiction.

Le comité avance plusieurs autres possibilités pour développer le dépistage des drogues et de l'alcool en milieu professionnel : l’étendre aux postes de sécurité nécessitant un haut degré de vigilance et à ceux de sûreté quand il y a situation de risques susceptibles d'affecter la santé du salarié, mais aussi la vie d'autrui. Le CCNE propose de négocier des accords collectifs pour déterminer la liste des postes concernés et de clairement en informer les salariés (les modalités doivent être inscrites au règlement intérieur et sur le contrat de travail). Il préconise de ne retenir que les tests salivaires pour le dépistage des produits illicites. Enfin, le dépistage sera placé sous la seule responsabilité du service de santé au travail, impliquant de fait une modification du rôle du médecin du travail. On voit bien ici que l’avis du CCNE, s’il ouvre la voie à une vraie réflexion sur le sujet, pose également des questions nouvelles sur l’organisation même de la santé au travail.

 

Consulter l’avis du CCNE :
L'avis du CCNE [PDF]