La nouvelle contre-visite médicale, mode d’emploi

ORGANISATION DE LA PREVENTION || Médecine du travail - santé publique
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19/07/2024 - Sébastien MILLET

En cas d’arrêt de travail pour maladie ou accident entraînant la suspension du contrat de travail, l’employeur est tenu de maintenir temporairement le salaire.


Cette garantie de maintien du salaire (à distinguer de la garantie incapacité de travail prévue par les régimes de prévoyance complémentaire pour laquelle l’organisme assureur intervient ensuite en relais de l’employeur), est soumise à certaines conditions.

En particulier, l’absence au travail doit être justifiée par une incapacité constatée par certificat médical du médecin traitant ou hospitalier.

La loi permet ici à l’employeur de faire procéder à une contre-visite du salarié pour vérifier le respect de cette condition.

Comment fonctionne ce contrôle ?

Un décret n° 2024-692 du 5 juillet 2024 vient en préciser les modalités au plan réglementaire (cf. C. trav., nouveaux articles R1226-10 et suivants).

Ces dispositions s’appliquent à compter du 7 juillet 2024.

Afin de permettre la réalisation d’une éventuelle contre-visite patronale, le salarié a obligation de communiquer à l'employeur dès le début de l'arrêt de travail ainsi qu'à l'occasion de tout changement :

  • Son lieu de repos s'il est différent de son domicile ;
  • Les horaires auxquels la contre-visite peut s'effectuer s'il bénéficie d'un arrêt de travail portant la mention “sortie libre”.

A partir de ces informations, l’employeur peut mandater spécialement un médecin pour opérer le contrôle et apprécier le caractère justifié ou non de l'arrêt de travail, y compris concernant sa durée.

La contre-visite peut ainsi s'effectuer à tout moment de l'arrêt de travail.

Le médecin peut choisir de l’effectuer :

  • Au domicile du salarié ou au lieu communiqué, en s'y présentant soit en-dehors des heures de sortie autorisées, soit pendant les plages horaires communiquées (« sortie libre »). Cette présentation peut se faire sans délai de prévenance. Dit autrement, le salarié est présumé savoir qu’il peut être contrôlé à l’improviste sur ces créneaux.  

    Ou

  • A son cabinet médical, sur convocation adressée par tout moyen conférant date certaine à la convocation. A noter que pour éviter toute difficulté, l’employeur aura intérêt à mandater un médecin de proximité, sachant que si le salarié est dans l'impossibilité de se déplacer, notamment en raison de son état de santé, il lui appartient d’en informer le médecin en lui précisant les raisons (ce qui peut constituer un motif légitime d’impossibilité de contre-visite).

Au terme de la mission, l’employeur -qui ne peut bien entendu avoir ici accès aux éléments couverts par le secret médical- est informé par le médecin mandaté :

  • Soit du caractère justifié ou injustifié de l'arrêt de travail,

  • Soit qu’il a été impossible au médecin de procéder au contrôle pour un motif imputable au salarié (refus de présentation, absence du domicile, etc.).

    Précisons qu’en cas de rapport négatif, le médecin doit en parallèle transmettre ses conclusions au service du contrôle médical de la CPAM/CMSA sous 48 h, celui-ci pouvant alors (cf. Cf. CSS, L315-1, II) 
    • Soit procéder à un nouvel examen de la situation de l'assuré (de droit si le rapport transmis a fait état de l'impossibilité d'examiner l'assuré) ;
    • Soit proposer à la caisse de suspendre les indemnités journalières de sécurité sociale (IJSS), sachant que la privation des IJSS entraîne mécaniquement en cascade la perte du droit à la garantie de maintien de salaire (C. Trav., L1226-1).

 

A réception des éléments communiqués par le médecin, l'employeur doit de son côté transmettre sans délai cette information au salarié.

Le décret s’arrête là, la volonté du Gouvernement étant de mieux encadrer le processus de contre-visite pour le sécuriser et au passage, favoriser aussi son utilisation par les entreprises face aux abus en matière d’arrêts maladie, très coûteux au plan économique.

S’agissant des conséquences en cas de contre-visite négative, le régime juridique obéit aux grandes lignes suivantes, définies de longue date en jurisprudence :

  • L’obstacle à la contre-visite ou l’absence de justification entraîne la perte du maintien de salaire, pour l’avenir ;

  • La conséquence est uniquement de nature salariale en paye : aucune sanction disciplinaire ne peut en revanche être prononcée à l’encontre du salarié (sauf en cas de justificatif frauduleux ou de refus du salarié de reprendre le travail) ;

  • Le salarié a la possibilité de contrecarrer cette conséquence en faisant procéder à une contre-visite auprès de son médecin traitant : dans ce jeu du « chat et de la souris », la délivrance d’une prolongation d'arrêt de travail postérieure vient alors lui réactiver son droit au maintien de salaire … jusqu’à une nouvelle contre-visite éventuelle venant infirmer cet avis.

Le décret ne devrait donc pas amener d’évolutions sur ce régime, qui s’avère finalement assez favorable au salarié.

En revanche, il faut s’attendre à une certaine sévérité des juridictions : les entreprises devront être vigilantes à bien respecter ces nouvelles règles de procédures, faute de quoi la suppression du complément de salaire pourrait être jugée inopposable au salarié absent …

Tout cela relativise en définitive quelque peu l’intérêt de recourir à la contre-visite, sachant que ce type de mesure doit toujours être bien considéré sur le plan de ses répercussions sociales.

L’approche systématique doit certainement céder le pas à une appréciation au cas par cas, selon une balance entre opportunité (volonté de maîtriser les coûts d’absentéisme, de « faire l’exemple » face à des abus) vs. risques (dégradation de l’image de marque employeur par rapport à des actions jugées « intrusives », aggravation de situations individuelles en lien avec un contexte RPS/ harcèlement, etc.).